Déjà à la recherche de livres pour Noël ? Voici trois curiosités à ne surtout pas louper

On sait que la rentrée littéraire est encore plus dangereuse que le triangle des Bermudes. Pour un roman qui sort du lot, combien de livres portés disparus ? Alors que vont commencer les achats de Noël, d’ordinaire favorables aux grands prix de l’automne, une contre-programmation s’impose.

"Il pleut sur la parade", de Lucie-Anne Belgy

A nos amis sachant rire de leur angoisse existentielle, on offrira Il pleut sur la parade de Lucie-Anne Belgy. La narratrice, Lucie, est une goy qui tombe amoureuse d’un juif, Jonas, garçon lunaire échappé d’un film de Woody Allen. Jusqu’ici tout va bien – encore que le père de Jonas soit très contrarié par cette union qu’il juge contre-nature. Ça dégénère à la naissance d’Ariel, et surtout quand le petit garçon fête ses 5 ans : il se met alors à frapper les enfants de sa classe. On l’emmène chez une pédopsychiatre – "le genre sommité des pète-au-casque".

La psy conseille aux parents de "travailler la question du traumatisme transgénérationnel". Lucie et Jonas ont beau revisiter leur histoire familiale, rien n’y fait, Ariel demeure violent. Au bord de la crise de nerfs, le couple se déchire. Racontée par quelqu’un d’autre, cette histoire aurait pu être une tranche de vie bobo plaintive et déplaisante. Il n’en est rien. On sait qu’un bon livre est affaire de regard et de style plutôt que de sujet, et Lucie-Anne Belgy parvient à insuffler humour et poésie à Il pleut sur la parade, comme si Clémentine Mélois se retrouvait parachutée dans Zuckerman enchaîné de Philip Roth.

Il pleut sur la parade, par Lucie-Anne Belgy. Gallimard, 250 p., 20,50 €.

"Bilan de compétences", de Charles Coustille

A nos copains enseignants qui rament dans leur vie sentimentale, on donnera sans hésiter Bilan de compétences de Charles Coustille. Il y est question d’un prof de lettres fan de l’émission Mariés au premier regard qui drague maladroitement sur Tinder une certaine Emma B. L’auteur va-t-il réécrire Madame Bovary à l’ère des réseaux sociaux et des applications de rencontre ? Oui et non – on aura aussi droit à des digressions érudites et hilarantes sur la carrière chaotique de Mallarmé ou le projet de thèse de Péguy. A un moment, plus intello à la Saul Bellow que loser à la Jean-Claude Dusse, le prof s’essaie à Grindr en recopiant des passages des Fragments d’un discours amoureux de Barthes – s’ensuivent des dialogues de sourds avec les types qui se cachent de l’autre côté de son téléphone.

A un autre moment, ce doux dingue tend un piège à Emma B afin qu’elle rejoue sans le savoir une scène de La Princesse de Clèves. Plus tard, il décidera d’adapter avec ses élèves L’Astrée de Honoré d’Urfé… Arrivera-t-il à ses fins avec Emma B ? Si lecteur qui rit à moitié dans ton lit, Charles Coustille devrait conclure avec tous les amateurs d’ovnis drolatiques. Dans le genre cérébral foutraque, il parvient à être aussi génial que le René Daumal de La Grande Beuverie et du Mont Analogue. C’est audacieux : dans notre époque où plus personne ne comprend quelque chose à la littérature, ce Don Quichotte de Coustille mise tout sur la finesse. Sur un malentendu, ça peut marcher – c’est tout ce qu’on souhaite à l’auteur.

Bilan de compétences, par Charles Coustille. Grasset, 183 p., 18,50 €.

"Retour aux fougères", de Bertrand Lacarelle

Pour nos camarades néo-ruraux lecteurs de Bernanos, enfin, on emballera soigneusement Retour aux fougères de Bertrand Lacarelle. Un agent de l’Etat est envoyé dans un coin de l’Anjou qui semble avoir fait sécession. Entre décroissance, contre-révolution et post-situationnisme se croisent différents profils de conspirateurs revenus du "pandémonium publicitaire" de Paris : des moines pittoresques, un vigneron bio, une boulangère, un ancien militaire reconverti dans le bâtiment et un Chouan qui attend toujours le retour des Bourbons – les territoires perdus de la République ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Un jour, quelqu’un (mais qui ?) fait sauter l’antenne-relais qui avait été installée là. Coupée de la communication moderne, la campagne revit. Lacarelle s’inscrit dans le sillage de Joseph Delteil, Jean Raspail ou Olivier Maulin. Il cherche (et trouve) une forme originale : les chapitres de son intrigue champêtre sont entrecoupés de poèmes incroyablement inspirés. La lecture aussi est une quête du Graal : de même qu’on peut fuir la ville, on peut se détourner des gros tirages et dénicher à la marge de quoi nourrir son esprit et son âme. Lacarelle, Coustille et Belgy nous le rappellent avec brio.

Retour aux fougères, par Bertrand Lacarelle. Le Cherche Midi, 238 p., 21 €.