Dissuasion nucléaire, vous avez dit dissuasion nucléaire?
Paradoxalement, la France, pays organisateur de la conférence, continue dans le même temps d'entretenir un arsenal nucléaire au potentiel de destruction hyper massif de notre planète. Pourquoi?
Avant tout, la dissuasion est une "stratégie négative", dont le but est d'empêcher un agresseur potentiel de passer à l'acte, avec la menace de représailles prohibitives. Combinée aux capacités conventionnelles et à la défense antimissile, la technologie nucléaire a armé notre stratégie de dissuasion depuis plus de cinquante ans.
Strictement défensive (qualifiée "d'arme de non-emploi"), la dissuasion nucléaire relève du "principe de précaution appliqué au domaine stratégique" et a pour objet de protéger la France de toute agression étatique contre ses "intérêts vitaux", dont l'appréciation in fine appartient au chef de l'Etat. Elle garantit notre autonomie stratégique et notre liberté d'action, par exemple face à un chantage au cours d'une intervention militaire ou lors d'une crise internationale.
La crédibilité de notre dissuasion nucléaire repose sur un discours politique déterminé (certitude de la "frappe en second"), un outil opérationnel et fiable, une chaîne de commandement invulnérable. Selon le "principe de stricte suffisance", la France a choisi un arsenal minimal (trois cents têtes nucléaires).
La composante océanique de l'outil est constituée de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins - dont trois sont toujours en cycle opérationnel ("permanence à la mer"). La composante aéroportée, elle, apporte flexibilité d'action (capacité duale de mission nucléaire ou conventionnelle) et visibilité démonstrative de notre détermination, en cas de crise majeure.
Toutefois, et malgré la continuité présidentielle - depuis de Gaulle - du principe de la dissuasion nucléaire et l'adhésion de l'opinion publique, des critiques ont été formulées, quant à son coût et son utilité.
Avec environ 3,5 milliards d'euros par an sur la décennie 2002-2012, la dissuasion nucléaire représente 11% du budget 2015 de la défense et 1% des dépenses de l'Etat. Elle nous permet de conforter notre siège au groupe P5 des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU et reste malgré tout l'assurance-vie de la nation, face à une prolifération de l'arme nucléaire (Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord, Iran probablement).
Ensuite, la pertinence de la dissuasion nucléaire est contestée au vu de ses "angles morts", dont celui de ne fonctionner que dans une guerre clausewitzienne, d'Etat à Etat. De plus, la menace nucléaire ne contrarie en rien des puissances régionales dotées de l'arme nucléaire et aux objectifs purement locaux. Enfin, avec la disparition des deux blocs, le monde est devenu multipolaire et la menace principale - avec une asymétrie de la conflictualité - vient d'acteurs non étatiques, pour lesquels cette arme de la guerre froide, dans une logique "anti-cités", n'est pas applicable.
Cette lecture était pertinente jusque 1999. Depuis, la doctrine a été adaptée pour rester crédible, y compris dans une dialectique "du fort au faible", voire "du fort au fou", afin de pouvoir viser précisément des centres névralgiques militaires, politiques ou économiques, que l'ennemi ait recours à une stratégie indirecte ou au terrorisme.
Cela implique une capacité de ciblage précis des objectifs et une adaptation des armes pour des frappes limitées avec des dégâts moindres (bâtiments vs. villes), mais aussi un effort conséquent de renseignement. L'autre conséquence est conceptuelle avec "l'ultime avertissement", troisième voie permettant d'échapper à l'impasse du "tout ou rien", i.e. entre l'absence de réaction et le feu apocalyptique, confortant ainsi la crédibilité politique de la posture de la dissuasion, sans pour autant transformer l'outil nucléaire en "arme d'emploi".
Clausewitz affirmait que "la guerre n'est rien d'autre que la continuation des relations politiques, avec l'appoint d'autres moyens" (De la Guerre). Notre pays a choisi et maintient, en l'adaptant, la dissuasion nucléaire, ultime garantie de notre souveraineté nationale et de notre autonomie de décision et ce faisant, participe de la sécurité de l'Alliance atlantique et de l'Europe.
Face à l'inflation des opérations (extérieures et sur le sol national), à l'escalade de la conflictualité (au sud et à l'est, où la Russie demeure un "partenaire imprévisible") et à l'aune de ses contraintes budgétaires, la France, "puissance moyenne à ambition globale", sera bientôt confrontée à un choix de priorités. Pourra-t-elle sortir de la quadrature du cercle sans repenser globalement la place qu'elle veut et peut encore jouer sur la scène internationale ?
Lire aussi :
• Quand l'Intérieur annonce par erreur "l'état de siège" en France
• Laurent Fabius n'exclut pas de s'appuyer sur les forces de Bachar al-Assad en Syrie
• Après les attentats de Paris, le Quai d'Orsay campe sur sa doctrine
• Tous les matins, recevez gratuitement la newsletter du HuffPost
• Retrouvez-nous sur notre page Facebook