Sur la route, entre Orléans et Sannois
Hier à l'Astrolabe d'Orléans j'ai dû tenter une pointe à la Michael Jackson ou de glisser sur un seul pied façon James Brown au T.A.M.I Show de 1964. L'élan fougueux était honorable et beau, le geste un peu moins et ma chaussure m'a rappelé à ma condition d'apprenti. Genou fléchi, bascule sur le bout des orteils et PAF ! Ouverte comme une bouche. Foutue chaussure gauche.
Qu'importe, j'en achèterai de plus souples. Mais je ne me décourage pas, un jour moi aussi j'entrerai en scène en déployant le jeu de jambes du boxeur. Plein de nerf et de vivacité.
Là, je n'en ai plus beaucoup de la vivacité. Je somnole dans le camion qui nous mène vers Sannois en région parisienne où nous jouerons ce soir. Autour, qui défilent, ce sont désormais des paysages semblables. Ils nous bordent tous les jours : la longue langue grise, les touches bleus et carmin des panneaux, des arbres de toute espèce et ces gros insectes debout, d'acier et plein d'antennes.
À ma droite, Olivier, notre régisseur lumière, longue barbe et cheveux ras, regarde un film explosif mais sans surprise où tout arrive avec fracas, surtout le super-héros. Le voilà qui surgit rouge vif du chaos enfumé et traverse serein le bruit et la fureur. L'intrigue on la connait : scientifique inventeur d'une molécule instable, repris de justice-petite frappe, rencontre accidentelle, pluie de molécules, mutation en Homme-fourmi. Mais c'est selon ; tous les insectes auraient pu convenir. Sauf peut-être le scarabée qui depuis la métamorphose confinée du très raisonnable Gregor Samsa n'attire plus vraiment les foules, avides de grand-guignol en plein air et de pyrotechnie.
À moins bien sûr que le scarabée soit égyptien. Là, vous pouvez étancher le public et sa soif d'exotisme au cœur du désert, mais d'un jaune uniforme et sans danger. Il ne faudrait pas embarrasser le spectateur par de trop saisissants contrastes, qui font la vérité -- comment voulez-vous qu'il se repose sinon ? De la cohérence ! Voilà ce qu'il faut, de la cohérence !
Qu'importe que le sel de la vie repose dans ses contradictions ! D'ailleurs le sel c'est agressif. Et ça détériore la santé. C'est un caillou dans la chaussure. Pas la chaussure gauche, ouverte en deux, non, la chaussure du confort.
C'est celle-là qu'on a vernie pour le spectateur, ne le décevons pas ! On se donne du mal, allons même jusqu'à coller ensemble les grains de ce sable égyptien, c'est notre promesse de sécurité : aucun grain dans la chaussure ou ailleurs, pas de poussière dans l'oeil !
Et les dunes que vous voyez là-bas, caressez-les, c'est doux et lisse et tendre comme le sein d'une femme... Mince, on perd le jeune public, corrigeons : c'est doux et lisse comme le sein d'une mère !... Mince, on perd le public qui n'a pas connu sa mère... C'est trop clivant, il nous faut quelque chose de plus universel... Et les dunes que vous voyez là-bas, caressez-les comme... une pomme ! Voilà tout le monde est contenté. Inoffensive, une pomme. Promesse intacte ! Tranquillité, confort !
L'Homme-fourmi a surgi de nouveau. Maintenant il a rétréci, voyage dans un conduit plein d'eau, rencontre un rat, fait du skateboard... Derrière, Raphaël, Clément et Sébastien écoutent des groupes qu'on aimerait inviter à venir jouer en première partie puis parlent du concert de Mansfield TYA qu'on a vu il y a quelques semaines à Vendôme où nous jouions aussi, et qui était très beau, retenu et intense.
Devant, Antony, notre ingénieur du son, le plus jeune de la troupe, dort toujours.
10h22 : Raphaël aimerait boire un café, Olivier de l'eau mais la station Total où l'on doit s'arrêter est encore à 30 minutes de route. A 4km il y a peut-être des cerfs.
10h35 : Pause dans une station BP.
12h10 : À ma gauche, Antoine regarde une série policière. L'homme sur un parking dit à une fille en combinaison noire : "Tu es toujours une cible selon l'angle de vue". J'aime bien l'idée, hautement philosophique, mais je me dis que la traduction en français n'est pas très heureuse et malgré le parking et la combinaison noire ça tombe un peu à plat.
12h54 : Premier clocher.
13h00 : À cause de l'Homme-fourmi je repense aux insectes debout, de métal, qui ponctuent la route, reliés entre eux par des câbles formant une grande toile, et aussi parce qu'en lisant Nadja je trouve :
"... Une façon de vous faire passer du fil de la Vierge à la toile d'araignée, c'est-à-dire à la chose qui serait au monde la plus scintillante et la plus gracieuse, n'était au coin, ou dans les parages, l'araignée".
13h08 : Premiers chevaux.
13h17 : Un panneau dit : "Route non salée". Encore un chemin sans conséquence. C'est Tristan, notre régisseur, qui conduit. Il parle avec Antony des concerts qu'ils ont fait à l'étranger : Laos, Tunisie, Nigéria. C'est très exotique, on a quitté la route.
13h34 : On arrive bientôt à l'EMB Sannois, où nous sommes attendus à 14h00 pour décharger le camion, installer le matériel sur la scène et commencer les balances. Avant de rejoindre la salle on fait un détour par une authentique pizzeria parce que c'est aujourd'hui mon anniversaire et que ça nous changera des Pastabox ricotta-épinards, des salades niçoises Sodebo et des plateaux-repas de l'Arche sur les aires d'autoroutes que l'on commence à bien connaître. À emporter, les pizzas. C'est jour de fête, mais faut pas déconner, l'EMB nous attend. J'ai quand même eu droit à la découpe et à la sauce piquante. Quelle folie ! Grand train !
L'EMB est une salle qui compte beaucoup pour nous : on y a fait notre toute première résidence il y a plus de deux ans maintenant et c'est alors qu'on a rencontré Antony qui est sur la route avec nous depuis.
Il était à l'époque ingénieur retour et s'occupait donc tous les jours du son au plateau -- celui que les musiciens entendent sur scène et qui diffère du son de la face, destiné au public. Après trois jours, avant que l'on se quitte il nous a proposé de nous accompagner dans les bars où l'on jouait pour faire notre son.
Au Trabendo d'abord, pour une première partie, puis au bar de la Trinquette au début du mois de décembre 2013 à Rennes, dont on se souvient comme hier parce que c'est l'endroit d'un tas de premières fois : premier concert en province, première fois nourris-logés-blanchis pour jouer notre musique, première représentation devant un parterre de professionnels, premier article le lendemain matin. On était comme des gosses ! Ce soir-là Antony avait fait un son incroyable. On lui doit beaucoup de cette reconnaissance, inestimable pour nous à ce moment-là, qui est venue avec le café du matin nous encourager à poursuivre.
Ou pour être plus honnête : qui est venue exalter notre impérieux désir de conquête !
Ca y est, nous y étions, en haut de la colline ! À voir le soir qui chemine lentement vers la plaine !
À nous la couronne de lumière sertie de pierreries ! Oui, nous serions la bête épanouie, le vieux lion fatigué qui meurt lentement plein de gloire et d'ennui !
Au cou la Perle Peregrine, monstruosité de blancheur et de perfection, sortie de la bouche grossière d'un crustacé informe, mais qui resplendit de grâce comme un soleil couchant sur l'univers entier ! À nous ! À nous ! À nous !
À nous enfin le dernier étage dans la tour, la vue panoramique et assez de mépris aux commissures pour le souffler par la fenêtre !
...
Heureusement ça n'a pas duré longtemps, la tour s'est changé en pont et nous sommes descendu du petit monticule pour rejoindre la place du marché.
Le miel s'est durci, comme toujours et nous avons appris beaucoup, surtout à travailler.
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