Les yeux grands ouverts
Tant que les cibles étaient israéliennes, puis juives, on avait fini par s'accommoder de cet état de fait. Un conflit lointain exportait ici ses mauvais effets. Une guerre par procuration se déroulait sur notre sol mais ses dégâts collatéraux faisaient néanmoins couler le sang. Les élans de solidarités étaient limités malgré les débordements antijuifs des indignations antisionistes. Le rapt et l'assassinat crapuleux ET antisémite d'Ilan Halimi avaient ému l'opinion sans que pour autant ce signe de la corrosion progressive de l'espace républicain ne vienne ouvrir les yeux sur ces territoires perdus de la République. Nommer les choses, qualifier les passages à l'acte, regarder le réel en face semblait trop difficile pour la doxa dominante.
Désormais les choses ont changé à la fois de nature mais aussi d'amplitude. Le 7 janvier dernier des journalistes caricaturistes ont été assassinés parce qu'ils étaient journalistes et caricaturistes. Le 9 janvier des juifs furent assassinés parce qu'ils étaient juifs. Le 13 novembre des Français, des étrangers ont été assassinés parce qu'ils savouraient le plaisir de vivre en France. Etre jeune, écouter de la musique, boire un verre à la terrasse d'un café était insupportable à ceux qui voient dans Paris "la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe" Le communiqué de revendication des "soldats du Califat" précise que les objectifs avaient été choisis minutieusement : "le stade de France lors du match de deux pays Croisés" et le Bataclan où "étaient rassemblés des centaines d'idolâtres dans un fête de la perversité". Aucune guerre ne peut être gagnée si on ne désigne pas l'ennemi. Aucun ennemi ne peut être vaincu si on ne le nomme pas. Aucune stratégie rétablissant la paix civile ne peut être élaborée sans un regard critique sur les erreurs passées.
1 - Désigner l'ennemi en le qualifiant seulement de "terroriste", consiste à s'interdire de combattre l'idéologie qui nourrit ses gestes, la psychologie qui fait agir ceux et celles qui en sont les combattants. Ce terrorisme la est islamiste. Il revendique sa filiation islamique, il invoque Allah avant de tuer et de couper la tête du mécréant supposé tel et la prudence mise à ne pas le nommer tel par crainte de "stigmatiser" l'islam ou les musulmans relève d'une attitude absurde car elle interdit à ceux qui, de l'intérieur de la sphère musulmane, veulent au contraire réformer ce corpus religieux. Le nommer "Daesh" plutôt qu' "Etat islamique" relève de la même logique de déni.
2 - Relever ce qui à l'intérieur de la pensée islamique nourrit le fanatisme n'est pas faire outrage aux peuples de culture musulmane mais au contraire aide à leur libération ou à leur émancipation. La réduction polémique du qualificatif "islamophobe" à une attitude raciste n'est qu'un dévoiement idéologique, un stratagème, interdisant de penser l'islam ou de porter un regard critique sur ses effets. Être anti fasciste ne signifie pas être raciste anti italien, être anti communiste ne signifie pas être un raciste anti russe. Le projet de rabattre la critique des religions, de dénonciation du blasphème, à des attitudes racistes fut introduite par l'OCI (Organisation de la Conférence Islamique) à la trop fameuse conférence de l'ONU à Durban en 2001, quelques jours avant l'attaque des tours de Manhattan. Comment pourrait-on ne pas s'interroger sur l'islam, voire craindre l'islam, au regard des méfaits commis en son nom ? Ce sont des intellectuels éclairés, de culture musulmane qui sont les premiers à l'avoir dit. Salman Rushdie, Taslima Nasreen, Ayan Yirsi Ali, Boualem Sansal, avaient depuis longtemps lancé en vain des signaux d'alerte. Les "pas d'amalgame" lancés comme autant de slogans prophylactiques de toute contamination raciste, ont contribué à interdire de penser. Jusqu'à nouvel ordre le seul amalgame fut celui des tueurs islamistes noyant dans un même carnage, le sang mêlé de leurs victimes. Il n'est pas offensant pour les cultures nées de l'islam de leur dire clairement que le Mal qu'elles portent en leur sein va aussi les dévorer. L'islamisme se confond si peu avec l'ensemble des Musulmans qu'il vient d'en assassiner chez nous pour la seule raison qu'ils ont choisi de vivre ici, en liberté, dans une démocratie.
3 - Installés dans leur certitudes idéologiques des années 60, les post marxistes, les post anticolonialistes, les désillusionnés, les indignés antiracistes au grand cœur n'ont rien voulu comprendre, n'ont rien voulu voir tant leur grille idéologique de lecture du monde les rendait aveugles aux nouvelles donnes politiques, géopolitiques. Le conflit israélo palestinien a surdéterminé ces choix, ces positions et ces attitudes. Lisant ce conflit dans les catégories d'un affrontement colonisé/colonisateur et projetant sur le palestinien le statut de Résistant, la gauche en particulier, a été incapable de prendre en compte la part régressive du mouvement national palestinien faisant désormais du jihad la matrice de son projet. Avec une irresponsabilité consommée, des intellectuels patentés, anciens idolâtres des totalitarismes staliniens, maoistes et pol potiens, ont donné des lettres de noblesse aux terrorismes supposés émancipateurs. A travers l'antisionisme obsessionnel, c'est l'antisémitisme qui avait repris des couleurs. Les tentatives de pogroms de l'été 2014 annonçaient les violences actuelles. La passion répulsive qui entoure Israël dit autre chose que la critique de sa politique et ne fait qu'affaiblir les partisans de la paix et du compromis avec les palestiniens.
4 - En Occident, en France, la marginalisation sociale de populations de culture musulmane, originaires du Maghreb, deux générations après les indépendances, a nourri le ressentiment d'une jeunesse en mal d'identité dont la schizophrénie s'incarne chez ceux qui se revendiquent Indigènes de la République. La "marche pour la dignité" a réuni ces nouveaux beur panthers des banlieues autant que ces Nation of islam du 9-3. C'est cette folie qui s'est faite exploser le 13 novembre. Avoir conforté ce statut de victime à travers des programmes éducatifs dénonçant une histoire de France éternellement coupable, n'a fait que déresponsabiliser une part de cette jeunesse. Loin d'intégrer à la République le multiculturalisme rédempteur n'a fait que contribuer à fissurer la société. Aux ghettos sociaux se sont ajoutés les ghettos des différences ethno-culturelles. Pour assécher ce vivier, nous devons commencer par ne plus de dire à cette jeunesse qu'elle est notre victime et que tous ses problèmes sont de notre faute. Ce discours masochiste, stupide, sans fondement, a pour effet principal d'enfermer ses destinataires dans l'impasse de la victimisation agressive.
5 - L'opinion publique semble être plus lucide que ses leaders médiatiques à en croire les succès éditoriaux de ceux qui sont immédiatement taxés de "néo réacs" ou de "racistes" pour avoir critiqué l'obscurantisme progressiste et tenté d'analyser le moment présent. Ce clivage idéologique qui fait de l'insulte un argument signe la défaite d'une pensée à bout de souffle. Être du côté du progrès ou de la justice sociale ne devrait pas interdire d'abandonner des lectures erronées du réel, quand ce réel est désagréable ou ne coïncidant pas avec des catégories préétablies. S'approprier la posture du Bien pour reléguer la critique dans le camp du Mal devient une étrange posture religieuse pour des adeptes de la raison, des Lumières et des disciples de la République platonicienne.
6 - Le déni du réel s'affirme symboliquement dans les qualifications des actes des tueurs. La confusion du sens des mots est suffisamment grande pour que ceux qui le commentent ne se trompent pas afin de pouvoir en dire la réalité. Comment peut on continuer à qualifier de "suicide" ces attentats commis par hommes-bombes qui se font exploser pour tuer le plus grand nombre. Il n'y a pas l'ombre d'un désespoir suicidaire dans ces gestes mais au contraire une exaltation morbide, une jubilation sensée ouvrir les voies du paradis dans le fait de donner la mort en y perdant la vie. Or qu'est ce qu'évoque le mot "suicide" sinon le passage à l'acte de celui qui par désespoir ne supporte plus sa vie et préfère la quitter en se donnant la mort. Le suicidé attire la compassion de son entourage, il attire la sympathie culpabilisée de ceux qui n'ont su que faire pour l'aider à vivre. Tout ce registre d'attitudes et de sentiments fonctionne dans un monde qui cherche à protéger la vie et ne propose pas le salut par la mort d'autrui. Si le mot "civilisation" a un sens c'est bien ce qui distingue le choix de la vie, du choix de la mort.
7 - "Nous chérissons la mort autant que les Américains aiment la vie" semble constituer la matrice philosophique des Hezbollah, Hamas, GIA et autres Etat islamique. La mise en pratique de ce principe abominable fascine cet Occident avide de gore autant que d'humanitaire. Réduits à n'être qu'un spectacle télévisuel de plus, ces massacres banalisent l'horreur. La "bombe humaine" ne constitue pas seulement une arme de destruction. La stratégie apocalyptique présente un double avantage : elle terrorise autant qu'elle culpabilise. Elle amène les victimes à s'interroger sur la raison de la haine dont elles sont l'objet. Comment peut-on choisir de se sacrifier ? Comment peut-on accomplir ce geste sans de bonnes raisons de le faire ? Elle engendre chez ceux qu'elle vise un doute déstabilisateur. Quel désespoir peut conduire à de tels actes ? Elle transforme la victime en coupable. La victime vient à considérer que la bombe humaine pourrait être autre chose que le geste apocalyptique d'un terroriste fanatisé. "Si ces gens font le sacrifice de leur vie, peut être ont-ils de bonnes raisons de nous haïr ?" La bombe humaine est le moyen et la fin. Elle est emblématique de la vision du monde de l'islamisme. L'apocalypse fait partie de son projet.
8 - Sur quels ressorts psychiques (ressentiment, refoulement, détournement pulsionnel) s'appuient les projets totalitaires ? Pourquoi séduisent-ils ? Comme le fascisme avant lui et comme le nazisme ou le communisme, le totalitarisme, ici islamiste, propose une vision globale du monde. La religion a déjà en son temps, en Europe, fait la preuve de son talent pour brûler vif au nom de la foi, couper des têtes ou torturer au nom de la Sainte Inquisition. L'idéologie révolutionnaire a agi de même pour construire l'homme nouveau. De Saint-Just à Béria, de la prison du Temple à la Loubianka, la Terreur sans dieu ressemblait fort dans ses méthodes à celle qui invoquait dieu dans ses jugements. Avec l'islamisme, c'est un aboutissement encore plus féroce qui s'annonce : hormis la décapitation ou la lapidation des apostats, des homosexuels, des femmes infidèles, des juifs et des croisés, dieu ajoute le sacrifice de ses enfants pour arriver à ses fins. Pendant la guerre Iran Irak des milliers d'enfants iraniens furent envoyés sur les lignes de front pour faire exploser les mines irakiennes qui freinaient les offensives. Tous portaient autour du cou une petite clef en plastique censée leur ouvrir les portes du paradis. La bombe humaine participe de la même logique.
9 - Comment l'Occident tout entier n'est-il pas capable d'unir ses forces pour faire la guerre à cette horreur moderne d'Etat islamique ? Comment ses dirigeants ne comprennent-ils pas que chacune de leur nation, de leur identité, de leur culture est la cible de cette progression cancéreuse? Le grand allié américain semble pris dans la même impuissance. Prêt à pactiser avec ses pires ennemis et trahissant ses anciens alliés, voilà l'Amérique d'Obama, abandonnant les Kurdes à son double ennemi turc et jihadiste. Voilà l'Amérique d'Obama faisant le pari incertain d'une sagesse à venir de la République islamique et cela sans avoir posé comme principe préalable à tout accord, l'abandon par l'Iran, pays membre de l'ONU, de son projet de destruction d'un autre Etat membre de l'ONU, du nom d'Israël. Les autres partenaires du groupe 5+1, dont la France, ont-ils eu l'idée de poser de leur côté un tel préalable, une telle exigence? La réponse est non. Obama a-t-il déjà oublié que la première ligne de front contre la menace islamiste est à la fois kurde et israélienne? La France fait un autre choix, privilégiant les Sunnites aux Chiites, elle s'accommode de cet accord signé avec l'Iran tout en favorisant les meilleures relations commerciales avec la source idéologique du jihadisme, c'est à dire l'Arabie des Saoud et notre ami le Qatar.
Dans sa "Lettre à un Français sur le monde qui vient" publiée dans Le Figaro 16 septembre 2015, l'écrivain algérien Boualem Sansal, nous avertissait: "Cher ami français, Je voudrais vous donner quelques nouvelles de la guerre qui fait rage dans le monde et qui ici et là est arrivée jusque sous vos fenêtres. J'en ai eu quelques échos. Les fenêtres de nos voisins ne vous concernent peut-être pas mais, quand même, quand un immeuble s'effondre dans le fracas c'est tout le quartier qui est ébranlé (...) Je vous le dis franchement, je crains pour vous, vous me semblez si peu préparés, pour ne pas dire indolents. Je ne sais trop non plus si vous vous rendez compte que vos gouvernants qui sont d'une pusillanimité indescriptible vous poussent carrément dans le cauchemar (...) Où et comment diable ces pauvres islamistes ont-ils appris à planifier si bien et si loin ? Lourdauds que nous sommes, nous ne voyons pas même l'ombre filante de leurs idées (...) Par un jeu subtil d'insinuations, d'accusations suggérées et de menaces voilées, de dénonciations vagues, d'incantations fiévreuses et de cris pleins d'un étrange silence, les champions de la taqiya nous inoculent le virus de la culpabilité et voilà qu'aussitôt montent en nous la honte de penser, la peur de dire et le refus d'agir. C'est le regard du serpent qui tue la souris, le venin et la constriction n'y ajoutent que la souffrance. Il est sûrement trop tard, l'Abistan est déjà dans vos rues, mais votre combat n'en aura que plus de mérite."
On ne saurait être plus lucide.
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