La déchéance de nationalité : pour qui, pourquoi?
Lors de son discours au Congrès après les attentats du 13 novembre dernier, François Hollande a souhaité que la déchéance puisse atteindre un individu ayant été condamné pour acte de terrorisme "même s'il est né français, je dis bien 'même s'il est né français' dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité", proposant ainsi de mettre fin à la distinction entre les Français de naissance et les Français par acquisition.
L'efficacité de la mesure a immédiatement été mise en doute, en particulier en raison de son absence d'effet dissuasif : quelle importance un terroriste pourrait-il bien accorder à sa nationalité française ? On peut ajouter qu'il n'est pas exclu que, même déchu de sa nationalité, l'individu ayant des liens effectifs très étroits avec la France puisse demeurer sur le territoire, au nom de son droit au respect de la vie privée et familiale. A quoi bon donc ? Cela permettrait tout de même d'éviter qu'un terroriste conserve un passeport français et ainsi de limiter le discrédit sur la qualité de Français, tel qu'il a pu apparaître dans les déclarations d'élus américains favorables au renforcement du contrôle de l'entrée des ressortissants français sur le territoire américain. La crédibilité internationale de la qualité de Français est aussi en cause.
L'opportunité d'adopter une mesure propre aux binationaux a également été fustigée. Mais il ne peut pas en être autrement : la déchéance de nationalité d'une personne qui n'est pas binationale conduirait à l'apatridie. Or, la lutte contre l'apatridie est ancienne et répond au droit à une nationalité, énoncé notamment dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Ainsi, si la déchéance ne peut concerner que les binationaux, ce n'est pas en raison d'un moindre attachement supposé des binationaux à la France.
La question de la conformité de la proposition au droit international a encore été soulevée. Pourtant, rares sont les textes internationaux portant directement sur les questions de nationalité. Et même la Convention européenne sur la nationalité, texte le plus abouti en la matière, précise que la perte de nationalité à l'initiative de l'Etat, en principe exclue, est possible en cas de "comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'Etat".
La mesure, dès lors qu'elle aura pour conséquence la perte de la citoyenneté européenne, pourrait en revanche être jugée contraire au droit de l'Union européenne. Mais la gravité des actes à l'origine de la décision sera prise en compte et l'on peut douter que la Cour de Justice sanctionne l'Etat français dans le contexte actuel.
S'agissant du contrôle du Conseil constitutionnel, il a jugé le dispositif actuel conforme à la Constitution dans une décision du 23 janvier 2015. Le point qui soulevait le plus de difficultés était la conformité au principe d'égalité de la distinction entre les Français de naissance et ceux ayant acquis la nationalité depuis moins de quinze ans. Cette distinction est contestable et on peut rester sceptique sur sa conformité à l'article 1 de la Constitution assurant l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine.
La proposition de François Hollande est précisément de mettre fin à cette distinction contestable entre les Français d'origine et les naturalisés. Sous cet angle, la proposition sert le principe d'égalité et répond à la principale critique adressée jusqu'à présent au mécanisme de déchéance de nationalité.
Et pourtant, la proposition n'est pas dénuée de toute difficulté.
Elargir les possibilités de déchéance, alors que celle-ci ne peut concerner que les binationaux, conduit à renforcer la différence entre eux et les nationaux "simples". Il y a quelques décennies encore, une telle distinction n'aurait pas choqué : il existait une volonté de lutte contre la pluralité de nationalités, envisagée alors comme un conflit de loyauté latent. Aujourd'hui, on considère que l'acceptation de la pluralité de nationalités est une marque de respect de la diversité et de l'identité de chacun, de son histoire et de ses origines. Dès lors, la mesure est critiquée car on peut y voir une forme de stigmatisation des binationaux, un signal de doute de leur attachement à la France. Et même si tel n'est pas le cas, le contexte social et politique actuel ne permet peut-être pas d'adopter une mesure susceptible d'être interprétée en ce sens. Il serait peut-être imprudent de prendre le risque d'envoyer un tel message.
Dès lors, de fait, il faut constater que la seule solution pour mettre fin à toute distinction entre les Français serait de supprimer la déchéance de nationalité. Une telle mesure ne serait pas dénuée de toute justification : si une personne a la nationalité française, c'est qu'elle a un lien étroit avec la France (ou alors il faudrait revoir tout le droit français de la nationalité) ; dès lors, pourquoi un autre Etat que la France devrait "assumer" l'individu ayant commis des actes de terrorisme en lui reconnaissant sa nationalité ? Si un Etat avait pu prévenir et détecter la radicalisation, c'est bien, théoriquement, celui avec lequel la personne a les liens les plus étroits, et donc théoriquement celui de sa nationalité, à savoir la France. Mais, ici encore, compte tenu du contexte et des priorités actuelles, une telle mesure - la suppression de la déchéance de nationalité - serait véritablement choquante.
Que faire alors ? Le plus sage serait peut-être finalement de laisser les choses en l'état. Mais l'on reprochera alors au gouvernement un immobilisme jugé inacceptable compte tenu de la situation. A l'heure où les enjeux sont compliqués, où toute mesure risque d'être mal comprise, où tout geste est potentiellement mal interprété, on exige pourtant une action forte et rapide de nos gouvernants. Reconnaissons au moins qu'ils n'ont pas la tâche facile.
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