Non à la discrimination de Médiapart par Bercy!
Sur quoi se fonde officiellement Bercy pour rançonner ainsi des journalistes qui ont un rôle éminent d'information du public et de défense de la liberté de la presse? En principe, sur le Code général des impôts qui précisait que le taux super réduit de TVA à 2,1 %, au lieu de 20 %, ne s'applique, pour la période faisant l'objet du litige, qu'aux "journaux et écrits périodiques" et donc pas à Médiapart, journal numérique.
On observera déjà que les termes employés à l'époque par le législateur peuvent parfaitement être lus comme s'appliquant aux publications de Médiapart. Il s'agit bien de journaux, au sens large, fussent-ils numériques, et d'écrits périodiques. Ce n'est pas, par exemple, parce qu'un auteur n'écrirait que sur un ordinateur et publierait sur internet qu'il ne serait pas pour autant un écrivain. C'est ce que l'on appelle la neutralité du support. Mais c'est un point qui semble avoir échappé à l'administration.
Certes, au temps de la rédaction du texte que Bercy tente d'appliquer, la presse numérique n'existait pas. Mais comme l'a relevé non sans ironie le président actuel de la Commission européenne, à propos de la mise à jour d'une directive sur ce sujet, "Je sais très bien qu'en 1991, il n'existait pas encore de journaux en ligne. Si la Commission -la précédente- n'a pas conscience qu'une petite révolution a eu lieu depuis lors et s'en tient à ses règles actuelles, c'est quelque chose que nous allons changer. Je sais qu'il existe des journaux en ligne. Nous avons besoin de TVA neutres du point de vue technologique".
De plus, les plus hautes autorités de l'État avaient déjà pris position, comme le relève Roland Veillepeau, ancien directeur national des enquêtes fiscales, dans son blog du 9 novembre 2015, qui cite les propos de janvier 2009 du Président de la République, à l'occasion... des états généraux de la presse écrite: "Le statut d'éditeur de la presse écrite en ligne ouvrira droit au régime fiscal des entreprises de presse. La France ne peut se résoudre à cette situation (...) stupide où la presse numérique est défavorisée par rapport à la presse papier".
Situation stupide... La position juridique de Bercy est insoutenable, car les exemples sont nombreux où les juges ont adapté le droit avec intelligence pour tenir compte des évolutions techniques au regard de textes non encore mis à jour. Le cas le plus célèbre demeure celui de la responsabilité civile, avec l'application par la Cour de cassation aux accidents industriels du XIX ème siècle, des textes du Code civil de 1804, conçus dans une France champêtre de gardiens de troupeaux, et non, et pour cause, de machines à vapeur.
Le droit de la presse lui même, dont le texte fondateur date de 1881, a aussi fait l'objet d'interprétations intelligentes des textes d'origine, sur le point de départ du délai de prescription de trois mois en matière de diffamation. La Cour de cassation à retenu que cette courte prescription exceptionnelle, destinée à protéger d'une certaine manière la liberté d'expression, en enfermant les poursuites dans un très court délai, avait pour point de départ la première mise en ligne des propos contestés. Alors que bien évidemment, on chercherait en vain la notion de mise en ligne dans un texte de 1881, avant sa modification.
Bien plus, la position de la France à Bruxelles va aussi dans le sens de l'application de la neutralité fiscale quel que soit le support de la presse, écrite ou numérique.
La frontière entre ces deux types de presse tend d'ailleurs à s'estomper, les grands quotidiens papier déclinant leurs éditions sous forme numérique, et les "pure players" tel Médiapart d'Edwy Plenel ne s'interdisant pas des sorties papier, les mêmes journalistes rédigeant les mêmes textes au sein de la même entreprise de presse.
La doctrine Bercy appliquée notamment à Médiapart ressemble à une chimère qui semble avoir été enfantée au terme d'un accouplement fantasmatique entre Ubu et Kafka. Grotesque et terrifiante, incompréhensible toujours.
Il est encore temps de sortir honorablement de cette procédure dans laquelle s'est fourvoyée l'administration fiscale. Monsieur le ministre, et cher Michel Sapin, il est urgent de mettre un terme aux errements de votre administration.
Faut-il rappeler qu'en France, la liberté de la presse, sœur de la liberté d'expression, prend sa source dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme selon laquelle la libre communication est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Il ne viendrait à l'idée de personne, sauf encore pour certains à Berry semble-t-il, de soutenir que la révolution internet et la presse numérique sont hors la loi.
Emblématique des relations entre l'État et la société, l'affaire des poursuites de Bercy contre Médiapart et la presse numérique est bien plus qu'une affaire de taux de TVA. C'est un dossier où une liberté publique fondamentale est en jeu dans notre démocratie, celle de la liberté de la presse.
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