Pourquoi faut-il écouter les électeurs du Front national?
Le respect que l'on doit à un citoyen responsable consiste à lui proposer des arguments politiques mais aussi à en exiger de lui, surtout s'il prétend à la majorité. Pourquoi ne pas demander systématiquement à un électeur et, a fortiori à une électrice, de Marion Maréchal Le Pen ce qu'elle pense du planning familial, par exemple? Apporte-t-il ou non une aide importante aux jeunes femmes? Est-il trop subventionné pour ce qu'il fait? En quoi viser cette association, en première ligne, est-il significatif d'une jeune candidate en rupture avec l'ancien monde?
En quoi le fait de considérer qu'un Français musulman n'est pas vraiment un Français comme les autres signe-t-il la rupture d'une petite-fille avec le discours de défiance d'un grand-père envers un citoyen juif?
Pourquoi ne pas systématiquement demander ce qu'est la culture? Existe-t-il une culture figée dans le temps? Doit-on nier l'apport des échanges culturels du passé pour mieux refuser ceux du présent ? Nos théâtres qui jouent indifféremment Molière, Shakespeare, Goldoni, nos musées qui exposent Renoir, Caravage et Picasso, toute cette jeune génération boostée et canalisée par la culture hip-hop, métissée s'il en est, tout cela est-il autre chose que la France?
En période de chômage faut-il interdire aux capitaux étrangers d'investir pour privilégier uniquement les PME locales qui n'en demandent pas tant, vu que beaucoup sous-traitent avec de grosses entreprises internationales?
Moi c'est ça qui m'intéresse. Que Madame et Monsieur qui votent FN, qui sont citoyens respectables, responsables, qui savent ce qu'ils font, m'expliquent le pourquoi politique de leur vote: ce qu'ils proposent à la France d'essayer, la nouveauté et l'efficacité à défaut d'un programme, au moins de certains points.
Je suis une citoyenne respectable, curieuse, et, à ce titre, je veux comprendre. J'ai droit, moi aussi, à une réflexion, un argumentaire, une vision basés sur des faits. Si à mes questions on n'oppose qu'un ras-le-bol, un pari désinvolte sur je ne sais pas quoi... alors qui m'empêchera de parler d'un déficit de pensée ? Si le seul ersatz de réflexion que j'obtiens c'est que l'on pointe le coupable -pêle-mêle le musulman, l'immigré, l'Europe-, qui m'empêchera d'identifier là les bons vieux fantasmes qui aboutissent à concrétiser une peur en un rejet global de l'autre? Alors on quitte le registre politique électoral, on me propose un soutien psychologique et l'on me méprise en tant que citoyenne. Qui méprise qui?
Quitter le terrain politique, pour celui de la compréhension d'un ras-le-bol ou de je ne sais quel autre concept psychologique c'est mettre le doigt dans l'engrenage du fantasme et de ses dérives. Ce qui veut dire que les journalistes, par exemple, doivent travailler leurs dossiers, solliciter des réponses politiques précises, que les artistes qui montent au créneau doivent être pertinents, et non pas croire que leur seule aura fera des miracles.
En fait, tout cela n'est pas si difficile. Il suffirait de le vouloir, d'ouvrir les yeux sur la France telle qu'elle est, d'opposer des contre-exemples bien vivants, stimulants. De parler, entre autres, de tous ces jeunes, issus de régions rurales ou périphériques, qui conjuguent harmonieusement leurs codes personnels quels qu'ils soient, avec les codes de l'entreprise, où ils postulent et réussissent à des postes de "leaders différents", comme ils disent.
Tous ces jeunes que je rencontre, ils ne se réfugient pas dans la peur, ils ont pris le parti d'ignorer ces débats récurrents et stigmatisants, viande halal dans les cantines et autres. Ils sont ailleurs, ils avancent. Ils ont compris, eux, qu'il ne fallait pas s'enliser à répondre à des fantasmes, ils ont tourné la page. La parole à Mounir Makkaoui: "Oui, je suis d'origine algérienne et de religion musulmane, et je me refuse à payer le prix de la bêtise des autres. Alors j'apprends. J'apprends à ne plus me ranger dans les cases qu'on m'indique à travers ces questions [...], ces pièges tendus dans lesquels on souhaite que je tombe. J'apprends à m'adapter à l'environnement où je me trouve et je sens bien que cette nouvelle capacité devient une force. Elle permet à l'autre de percevoir en moi des points auxquels il peut s'identifier -et se rassurer par la même occasion. Quand l'ignorance laisse place à la connaissance, la peur et la méfiance s'effacent peu à peu."
Si aventure il doit y avoir, moi, c'est celle-là que je veux tenter.
D'ailleurs et d'ici, l'énergie musulmane et autres richesses françaises, éditions Philippe Rey
Musulmans au quotidien, une enquête européenne sur les controverses autour de l'islam, éditions La découverte.