Classes de niveau: des enseignants d'une expérience inédite de mixité sociale inquiets
"Depuis l’annonce de la réforme, on est perdu, ça a été le choc et la stupéfaction". Agnès Houbin, c, ne cache pas son désarroi.
L'établissement dans lequel elle enseigne participe au plan mixité sociale, lancé en 2017 par le département de la Haute-Garonne.
Au démarrage de l'initiative, l'institution a décidé de fermer deux collèges du quartier populaire du grand Mirail, où les taux de décrochage scolaire étaient importants, afin de disperser leurs élèves vers onze établissements de zones plus privilégiées.
Cinq ans après, les élèves originaires du Mirail qui n'étaient qu'entre "40 et 50%" à obtenir le brevet, étaient 71% en 2022, selon le président du conseil départemental, Sébastien Vincini (PS), pour qui "si on concentre des difficultés sociales dans un établissement, on minimise les capacités d'apprentissage et de réussite scolaire".
Le "choc des savoirs" voulu par Gabriel Attal, avec ses classes de niveau en français et mathématiques, est vu comme un "non-sens avec ce que l'on fait ici", tranche Mme Houbin.
"Politiques de ségrégation"
"On ne peut pas stigmatiser un élève par rapport à son niveau. Les élèves qui seront dans les groupes faibles se diront qu'ils sont nuls", insiste-t-elle, plaidant pour "un collège universel qui ne trie pas les enfants".
Margot Mulès, conseillère principale d'éducation (CPE), rejoint sa collègue: "Une élève en difficulté m'a demandé: +Pourquoi les adultes qui dirigent ne croient pas en nous?+".
La réforme Attal est également contestée par Etienne Butzbac, chargé de mixité sociale au Centre national des systèmes scolaires (CNESCO), une instance nationale qui analyse des systèmes scolaires et qui dépend du ministère de l'Education et du Conservatoire des arts et métiers.
Il y voit l'expression de "politiques de ségrégation (qui) sont extrêmement néfastes pour toutes les parties de la population": "Pour la plus riche qui ne sait plus côtoyer les pauvres (...) et pour les plus défavorisées" qui, maintenues à la marge, ne peuvent "valoriser tout leur potentiel."
Sac sur le dos, Narek, originaire du quartier populaire de la Reynerie, traverse en cette fin du mois de juin le couloir du collège des Chalets, du nom de ce quartier résidentiel du centre-ville, où il vient de passer quatre ans. Les yeux brillants, il se dit "content" d'avoir pu étudier ici, où il se sent "bien intégré" au point de choisir de continuer sa scolarité dans un lycée du centre pour rester avec ses amis.
Amine effectue toute l'année sa demi-heure de trajet en bus, mis en place spécialement pour le projet, afin de rejoindre le collège. Malgré cette contrainte, "ma mère préférait que je vienne ici", dit-il, un large sourire aux lèvres, car "c'est mieux" qu'à la Reynerie.
"On ne nous dit pas qui vient de la mixité. On ne fait aucune différence, on enseigne à des élèves, de futurs citoyens", souligne Mélanie Bruyez, professeure d’histoire-géographie.
Favoriser la réussite
Elle en est convaincue: "la mixité fonctionne et permet de développer davantage de compétences chez les élèves: les meilleurs vont aider les moins bons, cela apprend la transmission".
"Ce projet favorise la réussite", assure Mathieu Bourdel, directeur de l'établissement.
Depuis 2017, 1.140 élèves ont été scolarisés dans des établissements d'accueil.
Le désarroi des enseignants face au projet des classes de niveau est encore accentué par le flou lié à la situation politique.
Elles "se mettent bien en place" pour la prochaine rentrée, avait assuré le 9 juillet la ministre de l'Education Nicole Belloubet sur France Info. Mais le Nouveau Front populaire (NFP), arrivé en tête du scrutin législatif, entend revenir dessus, y voyant un outil de "tri social".
Aux Chalets, les enseignants n'ont en tout cas "reçu aucune consigne" et certains envisagent déjà "la désobéissance" si le projet est maintenu: "on ne fera pas plus que ce qu'on nous donne les moyens de faire", explique M. Houbin.