Au Burkina Faso, "ils tuent même les enfants"
"C'était un jour de baptême. Tout d'un coup on a entendu des coups de feu. Les jihadistes ont tué tous nos maris et nous ont menacés du même sort lors de leur prochaine visite", raconte Ami G., une jeune femme de l'ethnie mossi, majoritaire au Burkina, en essuyant une larme qui coule le long de son visage.
Il y a un an, des hommes en armes ont débarqué dans son village, près de Titao, dans le nord du pays. Le soir même, avec ses six enfants, elle a tout laissé derrière elle et a marché plusieurs jours pour fuir son village.
"Ils étaient déjà venus, nous avaient obligés à porter de longues robes noires. Et puis ensuite, ils nous ont menacé de représailles, parce qu'on parlait aux militaires. Là-bas, c'est la guerre, ils tuent même les enfants", dit-elle.
Au bout de son périple, elle a passé la frontière pour "trouver la paix", à Ouangolodougou, 600 km plus au sud, en Côte d'Ivoire où elle est hébergée dans un centre d'accueil pour "demandeurs d'asile" - les autorités ivoiriennes ne leur reconnaissent pas le statut de réfugié.
-Meurtres et pillages-
Un peu plus loin, dans le camp, Adama M., voile bleu et pagne jaune, se souvient du jour où des hommes armés sont venus piller leurs maisons.
"Ils ont abattu ma tante, d'une balle dans la tête et ont ligoté et enlevé mon grand frère. Ils nous ont dit de ne pas pleurer", raconte t-elle, après avoir parcouru 900 km depuis Gorom-Gorom, dans l'extrême nord du Burkina.
Les atrocités commises par les groupes jihadistes contre les civils ont fait plus de 26.000 morts au Burkina depuis 2015, selon l'ONG Acled qui recense les victimes de conflit dans le monde. Le nombre de personnes déplacées à cause des violences est estimé à plus de deux millions.
Mais d'autres exactions poussent les Burkinabè à fuir leur pays : celles des Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), des supplétifs civils de l'armée, montés en puissance sous le chef de la junte au pouvoir, le capitaine Ibrahim Traoré, pour défendre les villages contre les attaques.
Dans les rangs des jihadistes, se trouve une majorité de Peuls, une ethnie d'éleveurs nomades. Et selon de nombreux témoignages recueillis par l'AFP, la communauté toute entière est devenue la cible des VDP.
Abdoulaye D., 79 ans, serre sa petite-fille d'un an dans ses bras. Il a fui sa région de Bobo-Dioulasso avec ses petits-enfants quand des hommes en "armes et en treillis" ont tué ses deux fils et pris tout son bétail.
"Ils ont ligoté tous les Peuls et les ont exécuté au fusil", raconte t-il à l'AFP.
Quand on cite le nom du chef de la junte, Ibrahim Traoré, un éclair de colère traverse son regard: "Le pouvoir fait de la différenciation ethnique. Le Burkina et moi c'est fini, même quand je mourrai, il ne faudra pas envoyer mon corps là-bas", affirme le vieil homme arrivé en Côte d'Ivoire depuis quatre mois.
Les témoignages semblables au sein de la communauté sont légion. Aminata S. a quitté Nouna (Nord) en janvier 2023 après que les VDP ont tué son mari et ses parents, un massacre attribué par Amnesty International à des "forces auxiliaires de l'armée".
"Ils sont arrivés un vendredi, ils ont tué toute ma famille. Il y avait trois campements de peuls, ils ont tiré partout et ont tué 31 personnes", explique t-elle.
-Ciblage ethnique-
Elle non plus ne veut plus "entendre parler" du capitaine Traoré et assure "ne pas vouloir retourner au Burkina".
"Tout le monde sait que c'est ici qu'il y a la paix", abonde Amadou Barry qui a également fui.
"Des commerçants peuls qu'on voyait régulièrement venir ici ont été tués par les VDP. Ils disaient qu'ils ravitaillaient les jihadistes. Ils ciblent les gens qui font des aller-retour entre les deux pays", confie un habitant ivoirien de Ouangolodougou qui veut rester anonyme.
"En brousse, au Burkina, si tu es Peul on dit que tu es un jihadiste. Si on te voit, tu es mort. C'est du ciblage ethnique", affirme Moussa T., qui est également venu chercher la sécurité en Côte d'Ivoire.
Au camp d'accueil de Niornigué, où 98% de la population est d'origine peule, de nombreux Mossis sont partis, officiellement pour trouver des champs à cultiver ailleurs et vivre de leurs récoltes.
"Beaucoup sont partis car ils ne voulaient pas cohabiter avec les Peuls. Quand ils les voient, ça leur rappelle les jihadistes", confie une demandeuse d'asile, "mais pour moi, la cohabitation est bonne, ces gens-là ne m'ont rien fait".