Narchomicides : Marseille entre "film d’horreur" et "jeux vidéo"
En deux jours, la semaine dernière, c'est d'abord un adolescent de 15 ans, mandaté pour une opération "d'intimidation" mais repéré par le clan adverse, qui est tué dans des conditions atroces, mercredi. Puis un autre, un tueur à gages de 14 ans à peine, recruté pour 50.000 euros, qui est arrêté vendredi, pour avoir tué un chauffeur VTC et père de famille, avant même d'approcher sa cible.
"A Marseille, on a l'habitude, mais avec une telle jeunesse, très honnêtement, moi, de mémoire de policier marseillais, en 23 ans de service, je n'avais jamais vu ça", raconte à l'AFP le porte-parole du syndicat de police Alliance, Rudy Manna, parlant de "film d'horreur".
Souligné dimanche par le procureur de Marseille Nicolas Bessone, cet "ultra-rajeunissement" au sein des réseaux de trafiquants de stupéfiants est "extrêmement inquiétant", insiste le syndicaliste, parce qu'"ils n'ont pas de notion de ce qu'est la vie à 14 ans".
"Sur Telegram, notamment, il y a des boucles de messages où on voit des gens se faire décapiter", confirme Amine Kessaci, 20 ans, fondateur de l'association Conscience, en lien avec les jeunes des quartiers populaires du nord de Marseille.
Call of Duty vs Playmobil
"En fait, c'est devenu des jeux vidéo. Ces jeunes ont l'impression d'être dans Call of Duty, pas dans la vraie vie. Moi, à leur âge, je jouais aux Playmobil", résume-t-il, absolument pas étonné par ces deux derniers narchomicides.
"Bien sûr que des enfants qui n'ont grandi qu'avec des meurtres n'ont pas peur de prendre des armes, ils n'ont connu que ça dans leur vie", affirme ce jeune militant, regrettant qu'on ait laissé "ces réseaux se gangréner".
Pour illustrer son propos, il raconte cette discussion avec un jeune dans une cité des quartiers nord au lendemain d'une fusillade. "Quand on lui demande ce qu'il s'est passé, l'enfant parle de tout et n'importe quoi, sauf de la fusillade. En fait c'est un élément normal de sa vie, une situation banale qui n'a pas retenu son attention", analyse Amine Kessaci.
Le jeune homme a créé son association Conscience après l'assassinat de son frère en 2020, victime d'un gang de trafiquants de drogue. Et, en parallèle de ses études de droit, il tente d'apporter un soutien psychologique et juridique aux familles de victimes des violences liées au narcotrafic.
Mais depuis "rien n'a changé". Au contraire: "aujourd'hui, il n'y a plus de codes, il n'y a plus aucun respect", estime-t-il, rappelant qu'avant d'avoir été brûlé vif, l'adolescent de 15 ans tué mercredi avait été poignardé à une cinquantaine de reprises.
"Se ressaisir"
"Il est temps de se ressaisir, la jeunesse", a lancé lors de son sermon funèbre mardi l'imam Boualem Khatir, de la mosquée Méditerranée, avant que le corps de Nessim Ramdane, le chauffeur de VTC abattu vendredi par un tueur de 14 ans, ne soit inhumé.
"Dégoûté de la République", Amine Kessaci dénonce l'abandon par les autorités des quartiers populaires: si ces narchomicides "avaient eu lieu dans les beaux quartiers de Paris ou les quartiers sud de Marseille, on aurait déployé l'opération Sentinelle, des ministres seraient venus (...) Les gens des quartiers, on les laisse s'entretuer".
Selon ce militant, qui fut colistier (non élu) sur la liste EELV aux Européennes et candidat écologiste battu au deuxième tour pour le Nouveau Front Populaire aux récentes législatives, les jeunes se sentent "rejetés par la société".
Mais "il faut que la honte change de camp", clame le jeune homme: "ceux qui doivent avoir honte, c'est les bobos. Parce que ce sont eux qui consomment la drogue. On ne peut pas continuer juste à taper sur ces jeunes qui dealent”. Ceux qui consomment doivent se rendre compte "qu'ils ont un peu de sang sur les mains et du sang sur leurs joints."