Des rues de Mexico à Hollywood, l'hymne des brocanteurs du "Fierro viejo"
Derrière cet air adapté par Jacques Audiard pour son film musical situé dans un Mexico d'opéra, se trouve une famille modeste, à l'origine de cet authentique phénomène de la culture urbaine locale.
Aux antipodes d'Hollywood, où "Emilia Perez" a été nommé 13 fois aux Oscars -y compris pour la meilleure musique de film-, Marco Antonio Terron parcourt un quartier populaire au nord de la ville au volant de son tricyle à moteur.
Des hauts-parleurs diffusent la voix de sa fille qui traîne sur les syllabes accentuées :"Se compraaaaaaan, colochoooonnes, lavadoooooras, refrigeradores (...) o algo de fierro viejo que vendaaan" ("On achète des matelas, des machines à laver, des réfrigérateurs...ou de la vieille ferraille que vous pourriez vendre").
Comme l'équipe d'"Emilia Perez", (tourné en studio à Paris), il suffit de passer quelques jours en touriste -ou en repérage- à Mexico pour se familiariser avec la voix de sa fille, Maria del Mar Terron alias Marimar.
"Cela fait partie de la culture nationale. Chaque matin, c'est avec cet air que se réveillent les habitants de Mexico", témoigne Marcos Lugo, un "chilango" (habitant de la capitale).
- "Fatigant"-
Le "Fierro viejo" ("la vieille ferraille") a été enregistré il y 20 ans. Marco Antonio arpentait alors déjà les rues pour racheter aux habitants leurs vieux meubles ou appareils électroménagers, puis les revendre.
A l'époque, il annonçait lui-même à tue-tête son offre de recyclage des encombrants. "C'était très fatigant de crier tous les jours pour annoncer mon passage, alors j'ai pensé à enregistrer mon slogan".
Fin 2004, Marco Antonio écrit quelques paroles qu'il fait chanter par sa fille, Maria del Mar, 9 ans à l'époque. "El fierro viejo" naît en une nuit.
Les jours suivants, d'autres ferrailleurs proposent à Marco Antonio de lui acheter sa cassette.
"J'ai dû vendre au total quatre copies, 50 pesos chacune (environ 2,5 euros au cours actuel). Je ne sais pas ce qu'ils en ont fait mais l'année suivante, on entendait +Fierro viejo+ dans toute la ville", s'amuse-t-il.
"Fierro Viejo" a été traduit en anglais pour les Américains des quartiers à la mode, et caricaturé avec l'accent snob des Lomas ou Polanco, les zones chics de Mexico.
Des supporteurs mexicains ont diffusé la bande-son au Mondial-2022 au Qatar (sans grand résultat sur les performances de la sélection).
Droits d'auteur
"Depuis quelques années, des marques, des films, des séries viennent nous demander s'ils peuvent utiliser notre chanson. Cela ne nous dérange pas. La seule chose qu'on souhaite c'est qu'ils respectent et paient les droits d'auteurs", déclare Marco Antonio Terron.
Maria et son père sont d'ailleurs conseillés par un avocat, Rolando Treviño, qui souligne que la chanson est déposée auprès de l'Institut national du droit d'auteur (Indautor).
Concernant "Emilia Perez", l'avocat précise qu'il y a eu un accord. "Le plus important est de voir si cet accord couvre tout ce qu'ils ont fait", ajoute-t-il, n'excluant pas une procédure judiciaire.
A l'origine de la bande-son d'"Emilia Perez", la chanteuse française Camille et son compagnon Clément Ducol ont rajouté des paroles pour leur version chorale ("Se compra diamantes, pasaporte (...) no se compra mi cuerpo, mi alma, mi vida, mi amoor..." "On achète des diamants, des passeports (...) on n'achète pas mon corps, mon âme, ma vie, mon amour").
La plus grande fierté de Maria del Mar n'est pas de figurer dans le film en tête des nominations à Hollywood cette année, mais bien d'avoir pu aider "ceux qui font ce travail à gagner de l'argent en utilisant (sa) chanson".
"J'aime toujours travailler avec mon père sur mon temps libre, ça me rappelle d'où vient cette chanson, c'est un travail très difficile qui ne s'oublie pas", poursuit-elle.
"Qu'il fasse chaud, qu'il pleuve, on est dans la rue tous les jours, c'est un travail très fatigant", admet Marco Antonio Terron, qui a eu des problèmes de santé.
Comme eux, plus de la moitié de population active travaille dans l'économie informelle des petits métiers de la rue au Mexique, par ailleurs douzième économie mondiale.