Cinéma: en Iran, le potentiel subversif de l'amour
Le film, en salles mercredi en France, était en compétition au Festival de Berlin, où ses réalisateurs Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, privés de passeport, n'avaient pu se rendre.
Déjà remarqués en 2020 pour "Le Pardon", leur travail leur vaut d'être visés par une procédure pour "propagande contre le régime", "incitation à la débauche et à la prostitution" ou "violation des lois islamiques par la vulgarité du film".
C'est les traits tirés qu'ils expliquent à l'AFP, en vidéo depuis Téhéran, leur quotidien, rythmé par les convocations.
Cela a commencé il y a bientôt deux ans, avec une descente des Gardiens de la Révolution, l'armée idéologique d'Iran, dans leurs bureaux pour leur confisquer leurs ordinateurs. Puis le retrait de leur passeport.
Depuis, ils sont régulièrement soumis à des interrogatoires. "Une fois par mois, ou parfois tous les deux mois, nous devons (...) écrire des pages et des pages" de réponses, explique Behtash Sanaeeha. "Nous attendons maintenant la décision finale du tribunal".
En fait, "ils veulent que nous stoppions la sortie du film dans différents pays. Quand le film va en festival ou doit sortir dans un pays, ils nous appellent et nous forcent à stopper la sortie du film en France, en Italie, en Allemagne, et partout ailleurs".
Tourné principalement dans une maison, "Mon gâteau préféré" ignore les strictes lois de la censure du régime iranien. Dans les scènes intérieures, l'actrice principale Lili Farhadpour ne porte pas de voile.
hijab au réveil
"Dans les films iraniens, depuis 45 ans, on voit par exemple une femme iranienne se réveiller avec son hijab au lit. C'est absurde car cela n'arrive pas en réalité dans les foyers iraniens. Même dans les familles religieuses, les femmes ne dorment pas avec le hijab !", explique le réalisateur.
"Donc, quand Maryam et moi avons décidé de raconter l'histoire de la vraie vie des femmes iraniennes, la première chose à laquelle nous avons pensé, c'est d'oublier ces mensonges, ces lignes rouges, la censure. Juste faire un film, pour la première fois peut-être, qui montre la véritable image des femmes iraniennes", poursuit-il.
"C'est important de montrer cette réalité aux autres, à l'étranger aussi, d'expliquer que nous ne sommes pas ce que ce gouvernement voudrait que l'on soit. Nous sommes comme vous. Normaux", ajoute Maryam Moghadam.
Fin et sensible, le film raconte aussi les illusions perdues d'une génération qui a connu la Révolution islamique. Les personnages ont eu l'expérience de la vie "sans ces restrictions sociales comme le hijab, l'interdiction de boire, de danser, de chanter. Donc, ils ont cette mémoire du passé".
"Et aujourd'hui, cette génération a de grands débats avec les jeunes générations, dans les rues, dans les restaurants, dans les taxis, tous les jours. Les jeunes leur demandent: pourquoi avez-vous fait la révolution ? Pourquoi avez-vous voulu changer ? Quel était le problème ?" "Et ils regrettent. Ils disent juste: nous sommes désolés. Ils essaient d'expliquer aux jeunes que ce n'était pas entre leurs mains. (...) Mais aujourd'hui, heureusement, l'ancienne génération soutient la nouvelle."
Le film, dont le tournage a eu lieu pendant le mouvement de protestation "femme, vie, liberté", après la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des moeurs en septembre 2022, y fait aussi allusion.
"Nous avons stoppé le tournage, nous étions dévastés. Deux jours plus tard, nous nous sommes réunis et nous avons compris que notre film parlait de la même chose que ce mouvement. Le film parle des femmes, de la vie et de la liberté. C'était donc notre devoir. Nous avons pris le risque et terminé le tournage. C'était le moment le plus stressant de notre vie", raconte Behtash Sanaeeha.
Plus de deux ans après, "la plupart des femmes n'ont plus peur. On espère que les cinéastes, de plus en plus, vont arrêter ces mensonges et braver la censure", conclut Maryam Moghadam.