Procès Le Scouarnec: les parties civiles refusent d'être réduites à l'état de victimes
Après trois mois de procès où l'accusé a reconnu les faits dans leur globalité tout en disant n'avoir aucun souvenir précis des victimes individuelles, "que retiendrons-nous de ces femmes et hommes que je représente ?", a lancé à la cour criminelle du Morbihan Me Marie Grimaud, au nom d'une quarantaine de parties civiles.
Toutes refusent de voir leur identité "réduite à celle de victime de Joël Le Scouarnec", a-t-elle ajouté, avant de brosser leur portrait et retraçant un moment de courage face à l'accusé de 74 ans.
"Vous avez échoué dans votre oeuvre de destruction, votre prédation mortifère qui n'emportera que vous et ceux qui vous demeurent fidèles", assène-t-elle à Joël Le Scouarnec, qui la regarde depuis son box avec son habituel masque d'impassibilité, les lèvres pincées.
"Ces enfants, vous les avez abîmés, meurtris, salis, mais vous n'aurez pas leurs vies ni celles de leurs parents", tranche Me Grimaud.
"Perversion enkystée"
"La haine", c'est le "mot qui ressort aujourd'hui quand j'interroge mon client pour faire un bilan" du procès "qui n'a malheureusement rien apaisé" et laisse beaucoup de questions en suspens, enchaîne Me Virginie Hamon. Ce client déplore de n'avoir pas reçu toutes les réponses à ses questions mais il est sûr d'une chose: "les faits qu’il a subis ne le définissent pas en tant qu'homme", souligne-t-elle.
Quant aux excuses formulées de manière systématique par Joël Le Scouarnec, qui assure ne plus avoir aujourd'hui aucune pulsion pédophile, "il se voile clairement la face et se ment à lui-même", assène-t-elle en regardant l'accusé.
"Il ne faut pas réduire cette affaire à une affaire de pédophilie, fut-elle à grande échelle, ce serait une erreur de jugement impardonnable", a mis en garde Me Rodolphe Costantino, avocat de l'association Enfance et partage.
Pour lui, c'est "la perversion" de Joël Le Scouarnec, "enkystée" au coeur de sa personnalité, qui doit être prise en compte dans le jugement sous peine de "passer complètement à côté, comme on l'a fait en 2005".
L'ex-chirurgien avait été condamné en 2005 à Vannes pour détention d'images pédopornographiques à quatre mois de prison avec sursis, sans interdiction d'exercer ni obligation de soins.
Il avait poursuivi sans encombre sa carrière et ses actes pédocriminels dans différents établissements de l'ouest de la France, jusqu'à son arrestation en 2017.
"Un Le Scouarnec pour 13.000 médecins"
Sa titularisation comme chef du service de chirurgie à Quimperlé (Finistère) avait été validée dès 2006 par le Conseil départemental de l'Ordre des médecins (CDOM) de ce département breton. Joël Le Scouarnec avait ensuite exercé à partir de 2008 à l'hôpital de Jonzac (Charente-Maritime) bien que la directrice eût été informée, par le chirurgien lui-même, de sa condamnation. Le CDOM de Charente-Maritime avait également donné son feu vert.
Tout comme l'administration hospitalière et les autorités sanitaires, les différentes instances de l'Ordre des médecins ont été vivement critiquées lors du procès pour une succession de dysfonctionnements.
Mais "comment aller au-delà d'une décision qui était clémente" en 2005, a plaidé jeudi Me Cédric Masson, avocat du CDOM du Morbihan, qui s'est lui aussi porté partie civile "pour comprendre", "pas pour couvrir les médecins".
"Pourquoi le juge de Vannes a pris cette décision ? Pourquoi n'y a-t-il pas eu appel du parquet ? Pourquoi le greffe n'a pas transmis le jugement au Conseil national de l'Ordre des médecins dans les meilleurs délais" comme la loi le prévoit, a-t-il interrogé.
Contrairement au parquet ou aux gendarmes, les CDOM n'ont "pas de pouvoir d'enquête" et ils n'ont pas non plus à l'heure actuelle la possibilité de suspendre en urgence un médecin s'ils reçoivent une alerte, a-t-il affirmé.
Me Masson a toutefois appelé à garder confiance dans la relation médecin-patient :"Nous avons un Le Scouarnec pour 13.000 médecins qui font bien leur travail" en Bretagne, a insisté l'avocat.
Le procès se poursuit vendredi avec les dernières plaidoiries des parties civiles et le réquisitoire.