Cannes: pour Saeed Roustaee, le cinéma autorisé, prix à payer pour être vu en Iran
Après son passage sur la Croisette en 2022, le réalisateur de 35 ans a été condamné à six mois de prison en Iran, ainsi qu'à une interdiction de travail de cinq ans. Les deux peines n'ont finalement pas été appliquées.
"Le pire pour moi est de ne pas faire de films", poursuit Saeed Roustaee, à qui plusieurs de ses compatriotes en exil reprochent, avec cette oeuvre respectant les strictes lois de la République islamique - notamment concernant le port du voile -, de s'être compromis.
"C'est très important pour moi que mes films soient vus par les gens de mon pays" car "je pense que le cinéma iranien est un peu confisqué par des comédies vulgaires", ajoute le cinéaste qui, dans "Woman and child", drame familial présenté jeudi, suit le destin de Mahnaz, une mère de famille de 40 ans sur le point de refaire sa vie.
Il dit avoir été obligé de demander des autorisations pour tourner, qu'il a mis "plus de six mois" à obtenir, à la faveur notamment d'un changement de gouvernement.
"Si vous faites ce genre de film, avec des scènes dans un hôpital, dans de grandes institutions comme une école, comment faire sans les autorisations, avec du matériel conséquent, beaucoup de figurants ? Au premier jour, deuxième jour, nos tournages auraient été arrêtés", explique le réalisateur.
"Je pense que mon utilité, c'est de dépeindre ces histoires-là à l'intérieur de l'Iran et de pouvoir les montrer dans les salles de cinéma", poursuit-il.
"Il y a des gens qui décident de ne pas travailler et peut-être que cela a même un impact encore plus grand. Moi, j'ai toujours voulu travailler mais j'ai été forcé de suivre certaines règles", complète-t-il.
"Je dois faire mes films"
Le mouvement "Femme, Vie, Liberté" a éclaté en septembre 2022 en Iran, après la mort en détention de la jeune Mahsa Amini, arrêtée pour une infraction au port du voile. La répression de ce soulèvement par les autorités a conduit à la mort de centaines de personnes et à l'arrestation de milliers d'autres, selon des ONG.
"Le hijab n'est pas un choix pour beaucoup d'entre nous, mais nous y sommes obligés" car "il y a des gens qui nous contrôlent et exercent des pressions sur nous", relève Saeed Roustaee. "Je pense que ce mouvement va aboutir mais il faut du temps: petit à petit, ce voile obligatoire va aussi connaître le sort d'autres interdictions" qui ont disparu.
"En attendant, je dois faire mes films" et "j'ai besoin de temps, en tant que jeune cinéaste, pour apprendre à faire des films peut-être autrement", plaide-t-il, concédant que, si ses personnages féminins n'avaient pas porté le voile, son oeuvre aurait été "plus naturelle" et "réaliste".
Une position qui ne fait pas l'unanimité. "Quand vous obtenez un permis et que vous montrez des femmes à l'écran dans leurs maisons avec leur hijab, je me moque du message que vous envoyez", dénonce auprès de l'AFP Mahshid Zamani, membre de l'Association des cinéastes indépendants iraniens, qui regroupe 300 professionnels en exil. Pour elle, Saeed Roustaee fait "le jeu du gouvernement".
Le cinéma d'auteur iranien est régulièrement primé dans les grands festivals internationaux. Certains films sont tournés avec l'autorisation des autorités, obligeant leurs auteurs à composer avec les règles de la censure, qu'il parviennent parfois à contourner.
D'autres choisissent la clandestinité, comme Jafar Panahi, en lice pour la Palme d'or avec "Un simple accident", une charge contre les autorités tournée sans autorisation, et sans voile. Il n'y "a pas de recette absolue" pour être cinéaste dans le pays, a déclaré Panahi à Cannes. "Chacun trouve sa voie" et "je n'ai pas de conseil à donner".
Film évènement l'an dernier, "Les graines du figuier sauvage", de Mohammad Rassoulof, avait décroché le prix spécial du jury, mais n'a jamais été montré en Iran. Son réalisateur, condamné à huit ans de prison dans son pays, a dû s'exiler. Comme trois des actrices principales.