Les bases végétales fermentées, la nouvelle alimentation proposée par cette équipe du Puy-de-Dôme

Un « projet ambitieux » au « potentiel énorme » est en train d’émerger sur le territoire puydômois. Son nom : Nutriferments. Son montant : près de 900.000 €. Sa raison d’être : l’alimentation végétale et durable, grâce à l’innovation dans le domaine de la fermentation.

Que les choses soient claires : il est hors de question de substituer des aliments base végétale à la viande. « Ce qu’on veut faire, c’est compléter et ouvrir la voie à une nouvelle alimentation », martèle Yvon Darignac, le fondateur de Solu’nature, entreprise puydômoise spécialisée dans le développement et la mise en marché de solutions alternatives aux traitements phytopesticides et antibiotiques.

Car les dernières recommandations nous encouragent à mettre davantage de légumineuses et de céréales dans nos assiettes. Pour nous y aider, six partenaires du public et du privé se sont lancées dans le projet Nutriferments.

Le consortium réunit Néobiosys à Issoire ; Nutrifizz à Clermont en charge de la coordination du projet Nutriferments ; Cocont à Clermont ; l’Unité de nutrition humaine ; l’Unité mixte de recherche sur le fromage sur la partie sensorielle ; l’Institut Pascal pour la connaissance des procédés.

Lauréat 2023 du dispositif R & D Booster de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, celui-ci va entrer en phase de concrétisation avec la création à terme d’une usine dans la plaine de Limagne, pour proposer une alimentation végétale et durable grâce à l’innovation dans le domaine de la fermentation.

Le point de départ

Tout est donc parti de ce consortium régional regroupant six partenaires. Leur projet : produire des aliments en base végétale mais fermentée. Un sujet que connaît particulièrement bien Nutrifizz. Ce bureau d’étude spécialisé en nutrition santé - créé en 2010 et basé à Clermont-Ferrand - a commencé à s’intéresser à la végétalisation dès 2017-2018.

« On avait à la fois des attentes montantes des consommateurs qui voulaient manger plus sain, plus durable, et des recommandations officielles à travers le Programme national nutrition santé. »

D’après ce PNNS, il faudrait manger plus de végétal, plus de légumes secs, plus de céréales complètes. Sauf que les freins sont nombreux chez les consommateurs : manque de temps, absence de connaissances, non-adaptation des produits en termes de goût et de praticité… Surtout, il existe peu de produits végétaux à base de céréales complètes et de légumineuses d’origine française et peu transformés.

Premiers prototypes

Les premiers prototypes obtenus en labo se rapprochent des tempeh, ces produits d’origine indonésienne traditionnellement fabriqués à base de soja. « Ils s’apparentent à un nougat à base de grains végétaux fermentés qu’on a trouvé vraiment bon et intéressant point de vue culinaire. Après l’avoir analysé en laboratoire, ce produit s’est également révélé hyper-intéressant du point de vue de ses propriétés nutrition-santé », détaille Émilie Chanséaume.

Les matières premières qui le composent, des céréales et légumineuses comme le pois chiche, sont en plus issues de la région Auvergne-Rhône-Alpes.Pourquoi fermentés ?

Non seulement les légumineuses sont excellentes pour la santé, mais elles le sont encore davantage lorsqu’elles sont fermentées. Ce processus doux et naturel permet d’optimiser la qualité nutritionnelle de ces protéines végétales, ainsi que générer des produits avec des goûts nouveaux qui, d’après les équipes de recherche et de développement, pouvaient être attractifs pour les consommateurs.

« Et la fermentation, c’est traditionnel ! Donc on s’éloigne de ces substituts végétaux très transformés, tout en apportant une très forte valeur ajoutée », relève Émilie Chanséaume.

Bientôt une usine

La partie recherche et développement étant bien avancée, les équipes passent à l’étape suivante : la production industrielle. Aucune usine n’étant en capacité de faire cette fermentation à grande échelle, une unité va voir le jour dans la plaine de la Limagne. «

Il va y avoir une première phase avec une unité pilote. Il y aura ensuite la seconde phase, où l’on produira en gros volume des produits traditionnels et fermentés », indique Louis Fanget, cofondateur de la société Cocont. Sur la première phase pilote, les équipes prévoient de sortir 70 tonnes de produits la première année.

« Ensuite, on pourra monter jusqu’à 130 tonnes sur la première phase, et sur la totalité du site, on pourra produire jusqu’à 1.300 tonnes à l’année », indique Louis Fanget.

Le gros de notre travail va consister à développer et produire en petit et gros volume de nouveaux produits végétaux “cœur de repas” pour le compte d’entreprises de toute taille qui ont déjà les débouchés et qui vont vendre les produits sous leur propre marque. On ne s’y attendait pas mais on a également été contacté par des maraîchers et des coopératives voulant valoriser leur production.

Dix à quinze emplois seront générés grâce à ce site de production, plus d’autres dans les entreprises unies dans ce consortium. « On est sur un investissement d’environ 900.000 € pour le projet Nutriferments, hors mise en place du site de production », conclut Yvon Darignac.

Comment ça marche la fermentation ?

Le projet Nutriferments présente des intérêts pour la nutrition-santé par l’ajout de légumineuses et de céréales dans l’alimentation, mais aussi et surtout par l’utilisation de la fermentation.

« Quand on fait fermenter ces bases végétales, on augmente leur valeur nutritionnelle automatiquement et ça c’est important. On génère des nutriments qui n’existaient pas comme de la vitamine B12 par exemple. »

Le procédé, lui, consiste à utiliser des ferments qui vont modifier les ingrédients de départ. « Quand on parle de ferment, on entend par exemple des bactéries lactiques, qu’on va utiliser pour fabriquer le fromage classiquement ; ça peut être aussi des levures comme Saccharomyces cerevisiae qu’on utilise pour la bière. Ou encore des champignons. Typiquement, pour le tempeh, on utilise un champignon : un rhizopus », détaille Émilie Chanséaume.

Ces ferments sont ajoutés à des ingrédients solides (grains de pois chiches, grains de lentilles, grands d’avoine…), dont ils vont modifier les arômes.

« Typiquement, on part d’un pois chiche qui a des notes plus vertes et on arrive à un produit qui a des notes de champignons, des notes un peu noisette. Donc on développe un profil qui va être super intéressant d’un point de vue culinaire, on améliore la qualité des protéines et on génère la production de vitamines. »

Le produit final se cuisine facilement en cubes, grillé dans un wok… « On pense s’entourer de chefs qui proposeront ces produits en restauration. L’idée est de sortir de cette image du produit végétal ultra-transformé pour mettre en avant des produits plus naturels, bons et qu’on peut cuisiner facilement à la maison », souligne Louis Fanget, cofondateur de Cocont.

Car l’enjeu est aussi là : « Les produits fermentés, c’est surtout la culture asiatique ; nous, on n’a pas l’habitude. Il faut qu’on trouve comment adapter la production aux attentes d’un point de vue culturel », sait l’équipe.

Gaëlle Chazal