Après la crise, un goût d'inachevé pour la FDSEA et les JA de Haute-Loire
Panneaux retournés à l’automne dernier, tracteurs sur la RN 88 et haies devant la préfecture en début d’année : Nicolas Merle (FDSEA) et Julien Duplomb (JA) arrivent à la tête des syndicats agricoles majoritaires en Haute-Loire dans un contexte tendu depuis plusieurs mois. Ils se confient sur les dossiers qu’ils veulent défendre pendant leur mandat.
« Quand on n’est pas présent, les choses se décident sans nous. L’engagement de chacun est essentiel. Sans adhérent, on ne représente personne. » En l’occurrence, Nicolas Merle, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Haute-Loire, et Julien Duplomb, à la tête des Jeunes agriculteurs (JA) du département, estiment représenter « 50 % des agriculteurs actifs » du territoire. Dans un contexte marqué par la grogne de tout un pan de l’économie, notamment locale, ils reviennent sur leur prise de poste et les grands axes de leur mandat.
Activité nourricière à défendreAccepter la présidence de la FDSEA vient, outre d’une appétence pour l’activité syndicale, d’une volonté de « défendre un monde économique agricole qui permet aux agriculteurs de vivre de leur métier en tant que chef d’entreprise ; en respectant les règles, notamment de protection de l’environnement, qui nous sont fixées, mais en demandant aussi qu’elles le soient par les produits qui viennent de l’extérieur. Sinon, c’est tuer notre produit français, qu’il soit agricole ou industriel. Parce que, de la Fédération du bâtiment aux représentants de l’agroalimentaire, on demande tous la même chose », note Nicolas Merle.
Et Julien Duplomb d’abonder : « Il s’agit de défendre une agriculture économiquement viable qui produit des denrées alimentaires, avec une action un peu plus tournée vers l’installation et la transmission en tant que JA. » Il s’attend d’ailleurs à l’ouverture d’un gros chantier avec « le parcours des jeunes agriculteurs qui est passé d’une gestion au niveau de l’État à la Région ». Son rôle syndical, il le voit comme un double mouvement. Il s’agit « à la fois de se battre pour le métier d’agriculteur et d’en faire sa promotion, pour attirer les jeunes. Ce n’est pas parce qu’on fait du syndicalisme qu’on est toujours obligé de dire que rien ne va. » Pourtant, la question qui brûle les lèvres du nouveau président de la FDSEA est lourde de conséquences : « En France, on est dans une agriculture raisonnée reconnue au niveau mondial. S’il n’y a plus d’agriculteurs demain, qu’est-ce que vous mangerez ? Parce qu’il y aura toujours du lait et de la viande dans le pays, même s’il n’y a plus de producteurs. Mais d’où viendront-ils et sous quelles conditions ? On ne le sait pas. »
Julien Duplomb, 27 ansAgriculteur installé sur la commune de Saint-Paulien depuis 3 ans, il est en Gaec avec ses parents (et son cousin dès début 2025). « On produit majoritairement du lait, mais on fait aussi des lentilles, de l’engraissement et on a une unité de méthanisation. » Il est au bureau des JA depuis quatre ans, dont deux en tant que secrétaire général.
« Il y a une décennie, reprend Nicolas Merle, la France exportait du lait. D’ici quatre ou cinq ans, elle va être tout juste autonome. En Haute-Loire, il se trayait 430 millions de litres de lait au pic de production, aujourd’hui c’est 360 millions. Et on est dans les départements qui ont le moins baissé. »
L’un comme l’autre sont producteurs de Lentilles vertes du Puy, « un atout historique », avec une AOP qui « nous garantit un tarif, de la reconnaissance, mais aussi un tas de normes qui rendent la culture de moins en moins possible », selon Julien Duplomb. Et le président de la FDSEA d’appuyer : « On nous explique qu’il ne faut plus utiliser de produits phytosanitaires pour traiter les mauvaises herbes, les insectes ou les maladies, alors qu’on ne se pose pas la question sur des produits qui viennent du Canada ».
Les syndicats agricoles de Haute-Loire restent vigilants aux engagements du gouvernement
Consentir à moins de sacrificesMalgré les révolutions qui traversent l’agriculture, Julien Duplomb reste stoïque. « Quand on regarde l’Histoire, l’agriculture a toujours évolué. Les changements sont juste différents d’une période à l’autre. Les jeunes actifs ont envie de tout faire pour que ça marche dans leur exploitation, sans regarder le temps passé ou même le revenu derrière. Ce sont des gens passionnés qui ne feraient pas forcément autre chose. »
Nicolas Merle met ici un bémol : « L’investissement financier et sentimental fait qu’on accepte certaines choses. Mais on voit des gens qui veulent des week-ends, des vacances, tirer un salaire… ce n’est plus l’agriculteur avec le conjoint qui ramène le revenu sur le foyer fiscal. »
Nicolas Merle, 40 ansAgriculteur installé depuis 2007 à Saint-Martin-de-Fugères, il travaille avec quatre associés « en production vaches laitières, transformation en produits frais et ultra frais, avec une partie en céréales de vente et lentilles ». Membre de la Fédération pendant trois ans, il était avant aux JA dont il a présidé l’instance régionale de 2016 à 2020.
Entre revenu et surtranspositionD’ailleurs, pour les deux représentants syndicaux, « la colère de ces derniers mois est liée au niveau de revenu ». Le président de la FDSEA le reconnaît : « Il y a des agriculteurs qui gagnent très bien leur vie par rapport à d’autres. Mais aujourd’hui, des chefs d’entreprise qui sortent un Smic voire moins, il n’y en a pas beaucoup en Haute-Loire, si ce n’est dans l’agriculture. » Mais les panneaux retournés à l’automne dernier traduisaient un mal-être au travail lié à une tout autre pression. « Je ne pense pas qu’il y ait d’autres secteurs d’activité, ou de corps de métier, où tout le monde veut regarder ce qu’il s’y passe. La moindre chose qu’on fait, on doit la déclarer. On est surveillé par satellite toutes les semaines de mai à octobre. Les règles sont respectées à 98 %, mais un agriculteur sur deux est contrôlé en Haute-Loire. D’où la frustration face aux critiques et la mobilisation dès l’automne dernier pour dire stop à la surtransposition des normes. »
Julien Duplomb entend suivre de près « le projet de loi d’orientation agricole, qui a normalement vertu à attirer des jeunes vers l’agriculture. Quand ça redescendra au niveau des départements, il y aura un gros chantier au sein des Chambres d’agriculture et ce sera aux JA de le mener ».
Après la crise, un goût d’inachevéÀ froid, Nicolas Merle estime « qu’on peut être satisfait de la mobilisation et de la prise de conscience, des pouvoirs publics comme de l’ensemble de la population. Mais il y a un sentiment d’inachevé : au-delà des annonces du gouvernement et des premières mesures, on attend plus de concret. Trop d’échéances sont repoussées à l’automne voire au printemps prochains. La levée des blocages s’est faite sur le principe d’une concrétisation rapide ». Pour Julien Duplomb, « il y a aussi de la frustration. On remarque qu’une fois que les agriculteurs sont rentrés sur les exploitations, beaucoup de choses mises en suspens reviennent. Je pense à Écophyto, aux zones humides ou sensibles. Même localement, on voit des réunions de concertation sur de nouveaux zonages. La prise de conscience n’est pas totale. »
Les organisations syndicales avaient envisagé des mobilisations pour « maintenir la pression ». Mais avec la pluie qui a retardé les travaux agricoles et l’été qui s’annonce, la prochaine échéance pourrait attendre septembre. « En tant que responsable agricole, on voit les Jeux olympiques de Paris comme une vitrine, ce qui est aussi le cas de l’agriculture française, et on n’aurait pas à gagner d’avoir une mauvaise image pendant l’été. Le point d’étape est à la rentrée. On verra si les mesures annoncées ne sont pas à la hauteur des attentes de la profession. »
Nora Gutting