"C'était de l'esclavage moderne" : mauvais payeurs, les patrons d'un hôtel cantalien condamnés
Les salariés décrivent la même chose, dans cet hôtel de Massiac : des contrats non établis des journées interminables et des salaires payés en liquide. Sans émouvoir les deux patrons, qui s’érigent en exemple de « charité chrétienne ». Ils ont été condamnés.
Elle amène le tribunal sur ce terrain-là, déclenchant malgré elle quelques sourires. « J’ai inventé le restaurant sans serveur, en libre-service 24 heures sur 24, parce qu’on ne trouvait plus personne pour travailler. C’est passé à la télévision ! », revendique Christine Boyer, à la tête de plusieurs hôtels dans le Cantal, dont celui de La Poste à Massiac, devenu Les portes du Cantal. Plus tard, elle poussera son dernier concept, « les clients qui font eux-mêmes leur chambre… », toujours faute de trouver de la main-d’œuvre.
Ce sont pourtant d’anciens salariés qui ont poussé les portes de la gendarmerie pour dénoncer les pratiques de cette dynamique sexagénaire et de son fils, Pierre Hajfani, 32 ans. Jeunes saisonniers, ils l’ont croisée dans un autre hôtel qu’il gère, à plusieurs centaines de kilomètres. Désireux de travailler, ils reviennent avec lui dans le Cantal, expliquent avoir nettoyé les chambres et mis en place les petits-déjeuners pendant tout un week-end.
Ils demandent un contrat, qui n’arrive pas, puis ils s’en vont, payés 120 € en liquide. Les gendarmes trouvent, en tout, quatre salariés dénonçant, d’avril à septembre 2022, des plannings flous, des difficultés à être payés, à avoir un contrat. « C’est de l’esclavagisme moderne », explique l’une d’elles, qui indique avoir fait 131 heures en 10 jours.
« Il valait mieux qu’elle parte, elle était alcoolique et son chat a pissé partout dans notre appartement », grince Christine Boyer. Son fils arrondi les angles : « On a voulu aider ces gens et c’est comme ça qu’on est remercié », souffle-t-il.Il jure que les deux jeunes n’ont pas travaillé, « ils ne savaient rien faire, ils observaient juste ». Il aurait proposé un contrat, mais ils seraient partis, pas satisfaits, exigeant « un CDI et un appartement ».
Face aux gendarmes, il avait plutôt précisé qu’ils ne faisaient pas l’affaire car « trop lents ». Les juges s’étonnent : comment peut-on être trop lent en étant juste observateur ? Il soupire. « Le gendarme a mal retranscrit. »
Tout est à l’avenant. Les déclarations préalables à l’embauche pas faites ? Le logiciel de l’Urssaf n’aura pas marché. Le solde de tout compte envoyé tardivement ?
Je n’ai pas les réflexes, je suis un jeune chef d’entreprise…
« Il va falloir se former », conseille la présidente Magali Calvet. Il se fâche : « Par charité, par bonté chrétienne, voilà où l’on se retrouve. J’ai 32 ans, je commence ma carrière et vous allez tout bazarder pour quatre personnes, alors que ça se passe bien avec 66 autres ? La prochaine fois, je n’aiderai pas. » Il laisse sa phrase en suspens, ménage son effet :
C’est dommage, j’ai 10 hôtels…
Sa mère enchaîne : « Ce n’est pas si grave que cela ! » Techniquement, les salariés sont ceux de l’entreprise de nettoyage de son fils, mais c’est elle qui donne les ordres – le tout apparaît nébuleux pour l’inspection du travail. Ils finissent par déclarer des revenus très limités, autour des 2.500 € par mois, à eux deux : « On vit en mangeant les restes de l’hôtel », tente-t-elle, sans convaincre.
« Les bras m’en tombent…, lâche le procureur Paolo Giambiasi. C’est indécent. On peut se défendre, mais il y a quelques limites… » Pour le fils et l’entreprise, il requiert 5.000 et 10.000 € d’amende, ainsi que la publication de la condamnation pour prévenir les demandeurs d’emploi. Pour Christine Boyer, il sollicite également une interdiction de gérer une entreprise pendant cinq ans : elle a déjà été condamnée pour les mêmes faits, au début des années 2000.
Le tribunal a repris les réquisitions : la mère a été condamnée à six mois de prison avec sursis, 5.000 € d’amende et cinq ans sans gérer une entreprise, ainsi que la publication de la décision sur Internet. Le fils échappe à l’interdiction de gérer, mais est également condamné à 5.000 € d’amende. L’entreprise est condamnée, en tant que personne morale, à 10.000 € d’amende.
Pierre Chambaud