Jean-Claude Sergues lèguera ses 1.500 œuvres d'art contemporain à Aurillac, sauf si...

Et si Aurillac devenait un relais d’art contemporain, au même titre que Meymac ou Vassivière ? C’est le souhait de Jean-Claude Sergues. Mais : « Aurillac mérite un beau musée. Je ne lèguerais pas mes œuvres si c’est pour qu’elles restent dans un carton. » C’est avec sobriété et sensibilité que le collectionneur auvergnat évoque sa collection. Sa première acquisition, c’était « vers 1985 », à la salle des ventes de Drouot. « Une petite pièce : une aquarelle de Paul Colin », affichiste de Joséphine Baker et de Mistinguett. « L’affiche, c’était la rue de la Harpe, et on peut difficilement faire plus auvergnat comme rue », dit-il en faisant référence aux migrants auvergnats dont cette artère était le repaire. D’ailleurs, son père était « un bougnat ».

Né en Auvergne, Jean-Claude Sergues a grandi à Paris. « À 21 ans, je suis revenu à Aurillac. J’ai repris une librairie, “Le Fournil”, mais elle est vite passée aux disques car les clients me demandaient le dernier Deep Purple, le dernier Beatles... » Il dit que c’étaient de belles années. Les seules où il a exercé un métier passion. « C’était une belle époque de ma vie, Aurillac. Ce travail m’a apporté beaucoup. L’essence même du commerce est l’échange. » Lorsque les disques se sont démocratisés, vendus par les Fnac et les hypermarchés, il a tout quitté, et est remonté à Paris. La restauration lui ouvre alors de nouvelles perspectives.« C’est ce qui m’a permis de commencer à acheter des œuvres. Ce n’était plus un métier passion. L’art aide à vivre. Il projette dans l’imaginaire, la vie n’aurait pas d’intérêt sans l’art. Je pense qu’on commence à acquérir des œuvres quand on a les moyens de le faire. Jusque-là, j’achetais des posters pour mes murs. Ensuite, j’ai préféré les originaux ! »

Passionné, touché et touchant, Jean-Claude Sergues attribue (« peut-être ») son envie de collectionner des œuvres d’art contemporain à son passé de disquaire. Les disques, on les accumule bien.Ce qu’il aime dans l’art, ce sont les charnières. « Les œuvres qui ont fait basculer les choses, qui ont révolutionné les formes, changé les paradigmes, comme l’a fait l’impressionnisme. Ces charnières illustrent et montrent les changements de société. »Au musée d’art et d’archéologie, Jean-Claude Sergues met à disposition quarante œuvres extraites de sa collection qui en compte plus de 1.500. Sophie Caldayroux-Sizabuire, directrice adjointe des musées d’Aurillac et commissaire de l’exposition Unique en son genre, a sélectionné les artistes en fonction de la proportion de ceux-ci dans sa collection entière. Ainsi, l’exposition comporte plusieurs œuvres de Michel Journiac ou de Robert Filliou. Mais sa pièce centrale, comme il l’appelle, n’est autre qu’une épreuve de L.H.O.O.Q., la Joconde moustachue de Marcel Duchamp. « Ce détournement marque la protestation de l’artiste contre l’idolâtrie de certaines œuvres et pas d’autres. Des gens ne viennent au Louvre que pour la Joconde et passent devant des chefs-d’œuvre sans même les regarder. Duchamp considère que l’art vient de la façon dont on regarde : “C’est le regardeur qui fait l’art”, dit-il. Si je mets ça dans un musée, c’est une œuvre d’art. »Parmi les trésors exposés ici, il y a aussi cette chaussure pailletée de l’artiste japonaise Yayoi Kusama. « C’est la première performeuse à New York, en 1929. Elle voulait parsemer le monde de points. Ça s’appelle Dots Obsession. » Il y a aussi l’insolence de Wim Delvoye et « sa façon de ramener l’humain à ce qu’il est, invariablement, estime le collectionneur. Pour moi en tout cas. Car chacun y voit, y ressent, ce qui lui est propre. » 

Anna Modolo

art not dead. Il insiste, il dit qu’il n’a « pas de préférée », que ce sont un peu toutes ses préférées, puisqu’il les a achetées. Et c’est vrai, à chaque œuvre une nouvelle joie, un sourire, c’est vrai qu’il les aime toutes. Mais quand même. Le nain du collectif Présence Panchounette le fait plus rire que les autres. « Le collectif se moquait des artistes qui se sentaient supérieurs. Il s’est saisi de la culture populaire, a pris l’archétype du mauvais goût, le nain de jardin avec son drapeau Art not dead. C’est ironique, mais l’ensemble est très beau. C’est un de mes préférés. Ceux qui se détournent de l’art en disant “on n’a pas cette culture”, c’est ça qu’il interroge. J’ai beaucoup d’attachement pour les moments de folies. Ça accroche, ça saisit. »