"Romain, il a pu vivre ce dernier virage avec nous" : sur le Tour, la foule s'est déplacée pour Bardet dans le Cantal
La roue à peine engagée dans le virage du pas de Peyrol, Romain Bardet voit se soulever des centaines de personnes pour lui. Un amas de supporters se forme, les mains se tendent et le coureur auvergnat les saisit. Il s’arrête presque dans le virage qui a porté son nom le temps d’une journée, puis repart vers la fin de l’étape.
Pour cette minute de partage euphorique, les supporters s’y étaient pris tôt. Dès 8 heures, Alex et Patrice étaient en place, sièges installés au creux du virage. « Il est venu toquer à ma fenêtre à 5 heures du matin en criant qu’il fallait qu’on soit les premiers », se plaint Patrice, qui porte pourtant un grand sourire.
Les deux amis, que quelques dizaines d’années séparent, se sont rencontrés lors de la dernière édition du Tour dans le Puy-de-Dôme. « Aujourd’hui, on est là pour Bardet, dans ce virage qui est sûrement l’un des passages les plus difficiles de l’étape. » Pour s’en assurer, Alex l’a d’ailleurs testé la veille.
J’ai dormi là pour voir un coureur que j’admire depuis petit.
Le nom de Bardet est sur toutes les lèvres et pancartes. Des classiques « Ça va Bardet » aux plus politiques, se permettant des clins d’œil à l’actualité. Et de 8 heures à 16 heures, Solal hurle au mégaphone des chants à son effigie. La voix cassée mais infatigable.
« Je suis là pour chanter et jamais m’arrêter. » Le Toulousain de 19 ans fait partie du comité d’organisation du virage « Magic Bardet ». Ils préparent l’évènement depuis trois semaines, mais la victoire du coureur lors de la première étape à Rimini, en Italie, leur a donné un « vrai coup de boost », plus de dix mille abonnées en plus sur les réseaux sociaux. « J’ai fait quatre heures de route, deux de randonnée et j’ai dormi là pour voir un coureur que j’admire depuis petit. C’est tout pour le vélo?! »
Les supporters ont remercié le coureur tricolore avec un accueil fracassant dans le pas de Peyrol. Michèle et Jules, 72 et 76 ans, ont été happés par cette énergie. Eux étaient venus depuis la Loire, pour voir passer Julien Bernard, coureur bourguignon. Arrivés tôt pour avoir la meilleure vue, ils se sont pourtant mêlés à la foule. « Ça remonte le moral de voir les jeunes s’amuser autant, se réjouit Michèle. On serait devant la télé si on ne voulait pas vivre cette ambiance. »
Et en plus des chants, c’est l’emplacement stratégique du virage qui attire les spectateurs. « On va les voir souffrir », lancent certains sans pitié. « C’est technique comme montée », préfèrent préciser d’autres. « En 2020, l’arrivée était au puy Mary. Cette année, il faut aller jusqu’au Lioran. Les 30 derniers kilomètres changent la donne », explique un cycliste amateur. Tout promet une étape spectaculaire. Et justement, les coureurs s’approchent du virage plus vite que prévu.
La tension monte au fil des heures. Les coups de klaxon se répondent alors que le virage se remplit. Trop motivés?? Les supporters se font rappeler à l’ordre après que la foule a bousculé des cyclistes amateurs. Des renforts de sécurité sont amenés pour assurer le passage de la caravane et du peloton.
C’est la passion Bardet qui l’emporte. Une partie du virage est d’ailleurs occupée par un groupe du Puy-de-Dôme et de Haute-Loire, dont il est originaire. Tous de jaune et bleu vêtus, les tee-shirts indiquant « Vélo army ». Pas de rugby aujourd’hui, mais une fierté régionale tout de même. Le maire de Brassac-les-Mines fait partie du groupe. « Bardet y a gagné une course en 2008, se souvient-il. On le voit évoluer depuis 15 ans. On n’allait pas regarder l’étape ailleurs. » Mème enthousiasme de l’autre côté de la route. « Merci Bardet?!, hurle Baptiste au milieu de ses phrases. Je le suis depuis des années. Il va finir au top de sa carrière. » Et pendant les années plus compliquées pour le cycliste?? « Je l’ai toujours soutenu », affirme-t-il. « Menteur?! », répond-on plus loin.
« Bardet, c’est le premier français qu’on a vu gagner. » Un groupe de jeunes, âgés de 17 à 18 ans, trépigne d’impatience. Leur regard alterne entre la route d’en face où ils espèrent apercevoir le peloton et le téléphone sur lequel ils tentent de suivre leur avancée.
« Bardet distancé dans le col de Néronne. » « Il a crevé au départ. » Les informations arrivent au compte-goutte. La foule devient presque calme. Et enfin, les cyclistes débarquent. Adam Yates en tête. Les supporters s’époumonent, mais il leur faut garder de l’énergie pour la star du tournant. Les cyclistes passent. De plus en plus de visages affichent une mine inquiète. Mais Romain Bardet arrive quelques minutes plus tard.
C’était exceptionnel, je ne m’attendais pas à une telle ferveur, à tant de plaisir partagé et d’émotions.
Romain Bardet n’a pas franchi le pas de Peyrol en tête comme l’espéraient certains, mais Mathis et Alban se réjouissent presque de ce scénario. Alors qu’ils étaient l’an dernier dans le virage Pinot où le coureur franc-comtois était passé à toute vitesse, ils l’assurent : « Romain, il a pu vivre ce dernier virage avec nous. »
Mona Bru