Tatouage et piercings : comment deux professionnels de Montluçon s'investissent dans les formations hygiène et salubrité
Alexx Prat et ChaCha ont participé, en juin 2024, à leur deuxième journée en tant que jury hygiène et salubrité, à Clermont-Ferrand. Il y avait huit stagiaires inscrits à la session en vue d’obtenir la certification qui leur permettra de tatouer et/ou piercer des corps.
Et le couple lui-même tatoueur/pierceuse, Alexandre Prat et Charlène Pastorek à la vie, au sein du shop montluçonnais Esoter’ink, prend son nouveau rôle très à cœur, à un moment où la législation autour de ces professions artistiques vient d’évoluer.
L’ARS, organisme de certification depuis le 5 mars 2024Avec l’arrêté du 5 mars du Code de santé publique, "l’ARS (Agence régionale de santé) continue d’habiliter les centres qui réalisent la formation hygiène et salubrité comme auparavant, mais désormais, l’ARS devient, en plus, organisme de certification : c’est l’agence qui va délivrer aux professionnels ayant validé les épreuves d’évaluation, une certification valable cinq ans", précise Christian Berthod, pharmacien inspecteur de santé publique à l’ARS Auvergne Rhône-Alpes.
Les chiffres. En Auvergne-Rhône-Alpes, 2.919 professionnels sont déclarés à ce jour, dont 1.700 tatoueurs exclusifs, 337 tatoueurs et pierceurs. Les 882 autres sont des professionnels du maquillage permanent et du pierçage.
Dans l’Allier, on compte 52 tatoueurs exclusifs, 10 tatoueurs et pierceurs, 7 pierceurs exclusifs et 24 professionnels du maquillage permanent.
Seize organismes sont habilités à dispenser la formation hygiène et salubrité dans la région, dont deux seulement sont situés en Auvergne, dans le Puy-de-Dôme : Formabelle, à Clermont-Ferrand, et Excellence Formation, à Pont-sur-Château. La formation dure 21 heures au minimum réparties sur au moins trois jours (sept unités théoriques et deux unités pratiques).
Et les professionnels déjà installés sont mis à contribution pour faire passer ces épreuves, sur la base du volontariat. "À la fin des 21 heures de formation, les stagiaires doivent répondre à un QCM dispensé par l’infirmier hygiéniste. Nous, on est là pour voir s’ils ont bien assimilé les gestes dans des ateliers de mise en situation", détaille Alexx Prat.Photo Florian Salesse
Formation hygiène et salubrité unique obligation légaleÇa n’a pas l’air de grand-chose, mais c’est un pas gigantesque dans un milieu où la seule porte d’entrée légale est cette fameuse certification hygiène et salubrité. Celle-ci était souvent une étape appréhendée comme une simple formalité. Ce n’est plus le cas, en tout cas en Auvergne Rhône-Alpes, selon Alexx :
Ce n’est pas parce que tu paies que tu vas l’avoir. Si tu le rates, tu le repasses et tu paies de nouveau. Forcément, ça râle. Mais ça va peut-être “épurer” le milieu. Le marché est saturé aujourd’hui. Tout le monde veut devenir tatoueur.
Il suffit de jeter un œil à Instagram notamment, inondé de profils différents. Un dermographe, quelques dessins sympas (piqués ou non sur Pinterest au passage), et c’est parti. Il ne faut pas les mettre tous dans le même panier : beaucoup sont sérieux, mais il y a des brebis galeuses.
Signalements des "mauvaises pratiques"Alexx et ChaCha ont été sollicités directement par l’ARS Auvergne Rhône-Alpes. "Ils s’adjoignent les tatoueurs et pierceurs qui font remonter les mauvaises pratiques, éduquent les gens sur les risques sanitaires", explique la Montluçonnaise.
Celle-ci se dit particulièrement attaquée sur les réseaux sociaux par d’autres professionnels :
Mais je m’en fiche. On parle de la sécurité des clients quand même ! Un dimanche soir, j’ai échangé avec une petite qui s’était fait piquer dans un salon du secteur. Je regarde le résultat et je vois tout de suite que ça n’allait pas du tout ! Dans ces cas-là, il faut faire un signalement à l’ARS. Il ne faut pas avoir peur. Cette petite m’a dit qu’elle ne voulait pas de problème, qu’elle avait dit qu’elle était majeure alors qu’elle ne l’était pas. Ce n’est pas grave. Il ne faut pas hésiter.
Eux n’ont aucun scrupule à faire des signalements. "Les gens parlent de délation. Je n’ai aucun souci avec ça. Ça dessert tout le monde, ces mauvaises pratiques", répond Alexx.
La chasse aux "scratcheurs"Et elles sont nombreuses, à les en croire. Du tatouage clandestin au shop privé, c’est un peu le fouillis. "Le salon privé, ça reste un commerce accueillant du public. Il faut un accès handicapé, des locaux aux normes et c’est interdit, surtout si tu n’es pas propriétaire des lieux. Et il y a les crasseux qui font ça dans leur salon ou le tien… Ce sont les “scratcheurs”. On fait la chasse à ceux-là, plutôt qu’à ceux qui ont des boutiques."Photo Florian Salesse
Et là encore, il y a des manquements, savent-ils. "Dans le piercing, il existe des règles depuis 2008 qui ne sont toujours pas appliquées partout. Des gants stériles, des bijoux stériles, la détersion en quatre temps (pansement)… Il n’y a pas assez de contrôles", regrette ChaCha, qui a passé sa première certification en décembre 2023.
Évolutions. Le tatouage est une pratique ancestrale. Mais en France, sa réglementation est très récente. Avec le piercing et le maquillage permanent, elle est encadrée par le décret numéro 2008-149 du 19 février 2008. Il fixe les conditions d’hygiène et de salubrité. Aucun diplôme n’est obligatoire et les voies d’accès sont donc multiples. Chaque professionnel a un parcours unique, en autodidacte ou en apprentissage.En 2019 néanmoins, une École française de tatouage s’est montée à Créteil. Elle détient la certification professionnelle d’artiste tatoueur de niveau 5 en France. Le diplôme est enregistré au registre national depuis 2015 et jusqu’au 19 juillet 2028.
Les premières réglementations remontent à 2008C’est à cette occasion que le couple a débuté sa démarche. "J’ai accompagné ChaCha et l’infirmier hygiéniste m’a demandé si je pouvais parler aux élèves du métier à la fin des trois jours", raconte Alexx. Lui tatoue depuis 2002, six ans avant les premières lois :
J’ai eu ma certification en 2010, et je l’ai renouvelée le 2 juin dernier. Pour ceux qui ont déjà une première certification, c’est une formation de mise à niveau de sept heures, qui peut se faire en ligne. J’ai demandé à la repasser le plus vite possible pour être crédible en tant que jury.
L’infirmier hygiéniste est ensuite venu une journée complète, regarder Alexx et ChaCha travailler, et pratiquer lui-même. Le couple a eu droit à un contrôle sanitaire informel. Ça s’est bien passé, mais il a appris que leur plante installée à l’accueil était à proscrire.
Le risque de propagation fongique dans l’air n’est pas compatible avec ces pratiques qui engendrent des plaies ouvertes. Des soins quotidiens sont nécessaires pendant au moins un mois pour une bonne cicatrisation. L’élément perturbateur a quitté le shop depuis.
Avant et après la certification. Une fois la certification hygiène et salubrité obtenue, le professionnel doit déclarer son activité auprès de l’Agence régionale de santé. Celle-ci contrôle les professionnels au moment du démarrage de leur activité. "L’ARS vérifie systématiquement que le professionnel a suivi et validé la formation hygiène et salubrité et qu’il exerce bien dans un local adapté", pose Christian Berthod, pharmacien inspecteur de santé publique à l’ARS Auvergne Rhône-Alpes. Un deuxième passage peut se faire a posteriori. "Il s’agit alors d’une inspection complète de l’activité dans son salon. Ces inspections ne sont pas systématiques, elles se font après ciblage des professionnels, parfois à la suite de signalements reçus."
Depuis le début de l’année 2024, à l’échelle de la région, six inspections ont été réalisées. L’Agence n’a, en revanche, pas de moyen d’action envers les salons qui ne sont pas déclarés, puisqu’elle n’en a pas connaissance. Et elle n’a pas accès aux locaux privés. "Néanmoins, si elle est informée d’une activité non déclarée, un courrier de rappel à la loi est adressé." L’organisme recommande de ne faire appel qu’aux professionnels déclarés, dont la liste est disponible sur son site Internet.Les clients des personnes exerçant de manière illégale, "parfois sans formation hygiène et salubrité et dans des locaux plus ou moins salubres, voire à leur domicile, ne sont pas protégés par la réglementation et auront peu de voies de recours en cas de litiges".
Seher Turkmen