Pourquoi le château d’eau d'Issoudun est-il un mikado de couleurs vives ?
C’est un point de couleur dans un décor industriel. Le château d’eau d’Issoudun, dans l’Indre, ne passe pas inaperçu. Les Berruyers le frôlent, quand ils partent ou reviennent de vacances. À première vue, si on n’est pas du coin, on ne sait pas trop à quoi ça sert. On pense à une friche industrielle, qui a rencontré un artiste fresqueur.
Mis en service en juillet 1962, il n’a d’abord été qu’un édifice de béton tout gris. Un peu triste, quand en hiver, il se confond avec le ciel. En 1983, il y a une première tentative de lui donner bonne mine. La municipalité fait appel à l’artiste Michel Politzer. « Mon raisonnement était le suivant, expliquait alors le maire, André Laignel, à la presse locale. Quand une chose est laide, soit on l’ampute, soit on la met en valeur. Il était trop coûteux de raser le château d’eau, aussi j’ai préféré en faire un signal artistique utilitaire. »
Une arme efficace contre la morosité
Trente ans plus tard, en 2013, la première décoration a vieilli. La Ville confie la rénovation de cette cathédrale de béton à un nouvel artiste, le Castelroussin Alain Doret. Ce dernier soumettra vingt projets différents.
Celui qui est retenu, joue avec les couleurs vives. Et porte la « signature » de l’artiste : la présence de multiples formes issues de l’industrie. « Je les appelle mes “F3D”, des formes en trois dimensions, détaillait-il à l’époque, dans les médias. Ce sont des dessins de joints d’étanchéité ou de pièces mécaniques. Je m’en sers comme outils de pensée plastique. Chacun peut les interpréter à sa guise. Elles amènent un jeu de l’esprit. »
« Préserver une ressource en eau de qualité »Ces formes mécaniques sont déterminantes dans le choix du projet. Elles font écho au fort taux d’emplois industriels de la ville berrichonne. Quant aux multiples couleurs ? Elles doivent faire du château d’eau, un point de repère dans le paysage. « Une arme efficace contre la morosité. »
Les travaux de 2013 ne sont pas qu’un projet plastique. Il s’agit avant tout d’une rénovation d’ampleur, « motivée par la nécessité de préserver une ressource en eau de qualité, pour les habitants d’Issoudun, des Bordes et de Sainte-Lizaigne, tous desservis par ce château d’eau », rappelait André Laignel, maire de la ville depuis 1977, et premier vice-président de l’Association des maires de France (AMF).
Côté restauration, douze tonnes de ciment ont été nécessaires pour refaire les dix derniers mètres du bâtiment. L’artistique n’est venu qu’après, sous la forme de deux couches de peinture. Pour recouvrir l’édifice de 52 mètres de hauteur et sa structure comptant quatorze colonnes de béton, il faudra 400 kilos de peinture - 70 couleurs.
Au XIXe siècle, chaque quartier d’Issoudun a son puitsC’est peu dire que cette rénovation a fait causer en ville, entre les riverains éblouis par la couleur, et ceux qui ne regardaient plus le château d’eau, « tellement il est moche ». Croisée cet été, Claudine, sa voisine, l’aime bien. « Je crois savoir que les dessins représentent des pièces de moteur. Et puis, c’est gai toutes ces couleurs. »
Cet incroyable château d’eau n’est qu’un des épisodes de l’histoire qu’Issoudun a tissé avec son approvisionnement en eau potable. Pour cela, au XIXe siècle, il n’y avait que les puits. Chaque quartier avait le sien. En 1810, on en dénombrait une cinquantaine : le puits de la Bonne Dame, le puits de Rome, celui des Capucins ou du Mâle… Parmi eux, une trentaine avait grand besoin de travaux.
Quand une chose est laide, soit on l’ampute, soit on la met en valeur
En 1877, la municipalité fait construire un château d’eau. Le premier. L’idée est de prendre exemple sur celui de Bourges (Cher), une bâtisse imposante, ronde, construite en pierre et briques rouges, une dizaine d’années plus tôt. « Finalement, il sera beaucoup plus imposant et ressemble plus au fort de Douaumont, à Verdun », explique Jean-Jacques Desormiers, président de l’association des Amis du Vieil Issoudun.
La construction n’étant pas assez haute, le débit connaît des disparités. Plus inquiétant, la compagnie des eaux d’Issoudun avait la « déplorable habitude », relève les Amis du Vieil Issoudun, de priver les habitants d’eau la nuit !
Il faudra une catastrophe pour que les us changent. Dans la nuit du 3 au 4 août 1898, le feu prend chez un tapissier. Les pompiers n’ayant pas d’eau suffisamment tôt, l’incendie a le temps de toucher une douzaine d’habitations.
« Dans les décennies suivantes, le bâtiment coule des jours heureux, sert de lieu de manœuvres aux sapeurs-pompiers, voit passer le Tour de France en 1966 », énumère Jean-Jacques Desormiers.
Un premier château d’eau détruit à la dynamiteEn 1971, la municipalité de Maurice Rousselle décide de le faire abattre. Une esquisse prévoit de garder la façade et de construire derrière une salle des fêtes, avec des lieux d’expositions, de réunions… « Cela ne verra jamais le jour », souligne le président des Amis du Vieil Issoudun.
Quand la démolition commence l’année suivante, pioches et pelleteuse se cassent les dents. C’est finalement la dynamique, qui viendra à bout du premier château d’eau d’Issoudun. Il s’effondra sur lui-même. À la place, une salle des fêtes sort de terre. En 2002, un broyeur à béton entre en action et la fait disparaître. L’actuel centre de congrès Champs-Élysées apparaît en 2004.
De l’autre côté de la Ville, le château d’eau porte quant à lui, toujours haut ses couleurs. Fier de son petit côté Vasarely, quand on l’admire de tout près.
Marie-Claire Raymond