Sur quoi la rencontre de vendredi entre Emmanuel Macron et les chefs des partis politiques peut-elle déboucher ?
« La nomination d’un Premier ministre interviendra dans le prolongement de ces consultations et de leurs conclusions », a fait savoir dans un communiqué la présidence. L’Élysée, constatant que les Français avaient exprimé lors des élections législatives de juillet « une volonté de changement et de large rassemblement », espère avec ce rendez-vous « continuer à avancer vers la constitution d’une majorité la plus large et la plus stable possible au service du pays ».
La gauche, unie au sein du Nouveau Front populaire, se prévalant du plus gros contingent avec 193 députés, met la pression sur le Président pour nommer à Matignon la haute fonctionnaire Lucie Castets. Piste balayée dès le 23 juillet par Emmanuel Macron, pour qui « la question n’est pas un nom. La question, c’est quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée ».
Depuis, plusieurs rumeurs circulent, du président LR de la Région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, à l’ancien locataire socialiste de Matignon, Bernard Cazeneuve, en passant par Karim Bouamrane, maire PS de Saint-Ouen.
Calcul politique« La question n’est pas le nom du futur Premier ministre, confirme le politologue Benjamin Morel. Le problème, c’est la coalition derrière lui. Il faut que vous ayez 289 députés qui ne vous renversent pas. L’objectif institutionnel est d’arriver à construire cette coalition permettant de faire tenir un gouvernement. Car actuellement, personne ne peut se targuer de ne pas tomber sous le coup d’une motion de censure et c’est ça le problème fondamental. »
Benjamin Morel voit aussi un objectif plus politique dans ces consultations. « Pour Emmanuel Macron, l’enjeu est de lancer la danse des négociations – ce qu’il fait quand même très tardivement – pour ne pas apparaître comme étant celui qui confisque la vie démocratique. »
En parallèle des consultations du chef de l’État, les différentes forces politiques – hors Rassemblement national – ont mis sur la table ces derniers jours des propositions qui pourraient servir de base de négociation en vue de la formation d’une majorité au Parlement.
Le 12 août, la prétendante de la gauche, Lucie Castets, a envoyé une lettre aux députés et sénateurs – hors RN – promettant de mener « des discussions approfondies avec les groupes parlementaires républicains », « dès sa nomination », sur la base du programme du NFP. Le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal, devenu président du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée nationale, a présenté un projet de « pacte d’action » en vue d’ouvrir des discussions. Une invitation rejetée par la gauche, qui estime que le parti présidentiel n’est prêt à des concessions qu’avec la « droite dure ».
Vers un gouvernement technique ?Benjamin Morel voit trois scénarios possibles pour cette nouvelle donne politique. « Le premier, c’est : est-ce que le centre est capable de gouverner en acceptant que La France insoumise fasse partie du gouvernement ? Autrement dit, est-ce qu’il y a une alliance possible entre les macronistes et tout le Nouveau Front populaire ? Ça paraît très improbable. Le deuxième scénario : est-ce que le NFP peut éclater, et dans cette hypothèse, les écologistes, les socialistes et les communistes peuvent-ils rentrer dans une alliance avec les centres en se passant de La France insoumise ? C’est compliqué... Ou bien, est-ce que le centre et la droite accepteraient de gouverner ensemble avec le soutien implicite du RN, qui pourrait tout de même faire tomber le gouvernement quand il veut ? Ce sont actuellement les trois hypothèses sur la table. »
À terme, le politologue mise sur la formation d’un gouvernement technique qui serait désigné « après plusieurs échecs à Matignon. On peut imaginer Emmanuel Macron nommer Lucie Castets, constater que cela dure 48 heures à cause d’une motion de censure ; puis nommer Xavier Bertrand, constater que cela dure 48 heures, et ensuite, parce qu’il faut bien faire passer un budget, trouver un modus vivendi dans le cadre d’un gouvernement technique ce qui permettrait aux partis de dire : “Je ne soutiens pas le gouvernement, je ne soutiens pas le budget, mais je ne veux pas rajouter le chaos au chaos.” À mon avis, on va probablement vers ça ».
Du coup, les négociations qui s’ouvrent ce vendredi 23 août pourraient bien s’éterniser. « Je ne vois pas la solution émerger dès vendredi. C’est un revirement stratégique gigantesque pour chacun des camps. Et donc, ça va forcément mettre du temps. L’idée d’Emmanuel Macron, c’est de montrer qu’il consulte, de ne pas apparaître comme le facteur de blocage. »
Nicolas Faucon