Deux Riomoises remontent les traces de leur aïeule de la Belle Epoque, Justine Pesnel alias "Madame Cent Kilos"

Le pedigree est chargé : ce n’est pas tant son tour de taille qui a valu à Justine Pesnel, femme de la Belle époque, de passer à la postérité. Entremetteuse, espionne, arnaqueuse, courtisane et mondaine mais aussi polyandre, c’est à l’occasion de son procès pour tentative de meurtre au début du XXe siècle qu’elle a acquis la célébrité, d’une part, et ce surnom, « Madame Cent-Kilos », d’autre part.

« Elle était en avance sur son temps. Elle a eu de nombreuses relations amoureuses. Elle a rencontré des gens intéressants, jusqu’au roi d’Italie. Elle n’avait peur de rien, elle était intrépide. Je ressens même une certaine fierté de l’avoir comme aïeule », souligne la Riomoise Patricia Legrenzi. Avant d’apporter une petite modération à sa réflexion : « Si c’était Landru, euh, je ne sais pas… »

Justine Pesnel est l’un de ces personnages hauts en couleur qui ont enchanté la Belle Époque. « Madame Cent-Kilos » trouve tout à fait sa place dans une galerie au voisinage de « La Goulue », de « Casque d’Or », de « La Belle Otero » ou de « Valentin le désossé ». À travers son récit, c’est tout un monde qui ressurgit, celui de la France au tournant des XIXe et XXe siècles, avec ses corsets, ses palaces, ses barons, ses filles bien dotées et leur cortège de coureurs de dot… Madame Cent-Kilos évolue au cœur de cet univers avec autant de caractère que de truculence.

Si les détails se perdent, la mémoire familiale conserve le souvenir d’une femme particulière. Eliane, arrière-petite-fille de Justine Pesnel, entame les premières recherches. Sa fille, Patricia, lui emboîte le pas avec la même excitation. Un généalogiste permet d’en apprendre beaucoup, notamment en dégotant le dossier judiciaire.

Patricia Legrenzi et sa mère sont les descendantes de Madame Cent Kilos, une escroqueuse de la Belle Epoque

Mais c’est au hasard d’une recherche internet que la plus grosse surprise arrive. Justine Pesnel a écrit ses mémoires, lorsqu’elle était en prison, en attendant son jugement pour la tentative d’homicide dans l’affaire dite « de Bois-le-Roi ». C’est un manuscrit épais de 850 pages qui, après avoir été vendu aux enchères, se trouve entre les mains d’un libraire spécialisé à Paris.

Ce précieux récit est acheté par un éditeur. Bruno Fulgini, historien, s’en saisit, fait des recherches et prépare le tout pour l’édition. 

"C’est un manuscrit unique. Il n’existe pas d’autre autobiographie de femme délinquante au XIXe siècle. Ce n’est pas un journal, avec le côté décousu du genre, mais un véritable récit. Elle raconte toute sa vie, ses expériences. Elle fait de l’esprit et même parfois du mauvais esprit."

La parole est celle d’une femme instruite et cultivée qui revendique sa liberté. Ses « Confessions » - c’est ainsi qu’elle a titré son manuscrit - sont toutefois à prendre avec certaines précautions : quand elle les rédige, elle est en détention préventive. Et il est probable qu’elle essaye de se montrer sous un jour qui lui est favorable.

Patricia Legrenzi et sa mère sont les descendantes de Madame Cent Kilos, une escroqueuse de la Belle Epoque

Si ces pages pittoresques se lisent avec délice, la réalité comporte une part plus sombre pour les descendants. Aucun de ses quatre enfants (deux paires de jumeaux) n’a connu l’amour maternel. Georges et Albert, nés en 1896, ont tous deux été placés à l’assistance publique à l’âge de 8 ans. « Ils ont terriblement souffert de cet abandon. Mais ils s’en sont sortis », remarque Eliane, la petite-fille d’Albert. Le temps a fait son œuvre et ces cicatrices se sont refermées.Madame Cent-Kilos est morte en 1941 dans un hospice d’Ivry-sur-Seine. Son fils Albert est mort à l’âge de 95 ans. Les Confessions ont été publiées. L’histoire s’arrête-t-elle là ? « Non, je chercherai toujours », affirme Patricia Legrenzi, dans un large sourire.

Les confessions de Madame Cent-Kilos, de Marie-Justine Pesnel (texte établi et présenté par Bruno Fulgini), ont été publiées par Harper Collins en poche au début de l’année.

Jean-Baptiste Ledys