Débat public : quand les démagogues se surpassent, l’écolo gît
Quelle que soit la carte tirée par Emmanuel Macron pour Matignon, il est peu probable que la « planification écologique », qui était affichée comme le pivot de sa politique par Élisabeth Borne il y a tout juste un an, bénéficie d’un nouvel élan. Le nouveau Premier ministre se verra léguer de budgets dédiés à la transition lourdement rabotés durant l’été par le gouvernement Attal démissionnaire. Baisse des aides à la rénovation énergétique, aux véhicules électriques, du budget de l’Ademe, du Fonds vert dédié aux collectivités locales : ces coupes ne sont pas si inattendues vue l’« humeur » politique du moment.
« On voit sur les études d’opinion que les préoccupations sur le climat n’ont pas baissé, ce sont celles portées par l’extrême droite sur l’immigration et l’insécurité qui ont augmenté. Ce qui s’explique par le fait que d’autres partis, dont l’ex majorité présidentielle, ont mis en avant ces sujets et les ont fait monter », analyse Anne Bringault, directrice des programmes de la fédération d’associations Réseau action climat.
« Ce que nous disons, c’est qu’il faut regarder la réalité en face et investir pour protéger les gens »Or, même l’offre programmatique du Nouveau Front populaire ne s’est pas structurée autour de l’urgence climatique : « Les mesures phares du NFP, c’est l’abrogation de la réforme des retraites, le Smic, l’impôt sur la fortune… », constate Simon Persico, professeur de Sciences politiques à l’IEP de Grenoble (1).
Trop compliquées, trop « techno », les questions de réduction d’émissions de gaz à effet de serre ? Au contraire, pour Élise Naccarato, chargée du plaidoyer Climat à Oxfam-France, « le changement climatique impacte déjà tout le monde au quotidien : on a des millions de maisons en France qui sont fissurées, on a des milliers de maisons qui sont concernées par le recul du trait de côte. Il y a les canicules, les inondations… Ceux qui veulent occulter ça, et disent -On ne va rien changer- ne sont absolument pas réalistes sur le moyen terme […] . Nous, ce que nous disons, c’est qu’il faut regarder la réalité en face et investir pour protéger les gens ».
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Tous les partis s’emparent de la question du pouvoir d’achat, « mais celui-ci reste très lié au coût de l’énergie et c’est pourquoi il faut sortir des énergies fossiles », abonde Anne Bringault, pour qui la « réduction des fonds alloués à la transition écologique est complètement contradictoire avec le maintien du pouvoir d’achat des Français. ».
Simon Persico se souvient que c’est « Ségolène Royale la première qui a parlé d’écologie punitive ». « Il est évident que la transition est douloureuse. Elle implique des changements dans la façon de produire, de se déplacer, de consommer. Ce qui suscite le désaccord de certains citoyens et acteurs économiques », analyse le politologue grenoblois. Selon lui, la planification écologique, ça fonctionne toujours bien, c’est au moment de passer aux mesures concrètes que « c’est plus tendu » .
« Macron a fait finalement comme Sarkozy après le Grenelle de l’Environnement. Quand ça se tend, l’environnement apparaît moins prioritaire, il suffit de détricoter certaines mesures pour aller au plus simple, mais sans générer de grandes transformations ».
Des arbitrages mous qui sont à double tranchant : « Après la Convention pour le Climat comme lors du Grenelle, des attentes ont été créées, on a eu l’impression que des choses allaient changer concrètement et on constate qu’il y a une inertie folle. Cela crée de grandes déceptions ». « Il y a quelques années, aucune personnalité politique de premier plan se serait affirmée anti-écologiste » , observe encore Simon Persico. Pour ce chercheur, c’est bien la dynamique électorale du RN qui incite « d’autres forces politiques à le suivre dans ce populisme anti-écolo. Un phénomène que les États-Unis connaissent depuis longtemps. Pour l’instant, le climatoscepticisme pur et dur de Trump n’est pas revendiqué en France ».
Les élus locaux plus « écolos » ?Si la « radicalisation » anti-écologiste se répand au plus haut niveau politique, « au niveau local, ce clivage n’existe pas forcément », se rassure la directrice des programmes du Réseau Action climat. La récente montée au créneau des associations d’élus contre la diminution d’1,5 milliard d’euros des crédits du Fonds vert en est une manifestation.
« La plupart des élus locaux développent des solutions de mobilité, d’isolation, d’énergies renouvelables et ils voient bien que c’est soutenu par la population. C’est un enjeu qui va monter à l’approche des élections municipales », anticipe Anne Bringault. Simon Persico abonde : ce sont bien « des politiques locales qui changent concrètement la vie des gens ».
Julien Rapegno
(1) Simon Persico est membre du laboratoire de Sciences sociales Pacte et est le coauteur, avec Florence Haegel, de « Partis politiques » publié par les éditions Bruylant.