À la rencontre des gens du voyage installés sur une aire d’accueil puydomoise
Une exposition de photos et de peintures dans une aire d’accueil des gens du voyage, la chose est suffisamment rare pour être soulignée. C’est le projet qu’a mené à bien Nadège Roussel, médiatrice sur l’aire de Randan pour la communauté de communes Plaine Limagne, accompagnée de deux artistes locaux : la peintre Stéphanie Steiner et le photographe Jérôme Justine.
De leur travail conjoint est née cette exposition éphémère destinée aux habitants de l’aire et à un petit comité d’élus locaux.
Un avant-goût de kermesse tziganeLes toiles sur le thème de la kermesse tzigane et les portraits photos pris le mercredi précédant l’inauguration, sur le lieu de vie de cette communauté, étaient exposés dans une ambiance festive, éclairés par la chaude lumière de fin de journée.
Cette idée, c’est la peintre Stéphanie Steiner qui en est à l’origine. Pour l’artiste d’origine yéniche (*), le thème des Tziganes (peuple de voyageurs qui comprend les manouches, ndlr) s’est imposé comme un sujet de création.
Chaque tableau réalisé plonge celui qui l’observe dans un univers de danse, de magie et de musique. Les musiciens manouches, très reconnus, occupent une place de choix : un contrebassiste au regard pénétrant, un guitariste sous le feu des projecteurs ou encore un joueur de vielle avec son ours dansant.
La vivacité des couleurs contraste avec la mélancolie des personnages, à l’image d’un clown qui semble percer le regard du spectateur. Se retrouve dans ces œuvres un peu de l’ambiance feutrée des scènes parisiennes de Toulouse Lautrec, source d’inspiration pour la peintre. Cette dernière se réclame d’ailleurs de ces artistes "qui vont vers les gens".
Les voyageurs dans l’objectif du photographePour les photos, c’est Jérôme Justine qui était à l’œuvre. Lui n’avait jamais travaillé pour les gens du voyage, mais le projet l’a tout de suite intéressé. Cette rencontre à l’aire de Randan était l’occasion de réaliser des photos "humanistes", un peu à la manière d’un reportage.Un après-midi sur le lieu de vie lui aura suffi pour capter des dizaines de visages, des enfants survoltés aux grands-mères bien plus calmes, mais tout aussi joviales. Un père tout sourire avec sa fille dans ses bras retient l’attention également. Des photos touchantes parce que pleines de vie et de bonheur partagé et qui devraient désormais revenir à leurs modèles.
Se dégage de tout cela le constat partagé du succès de l’exposition, des élus jusqu’aux enfants. Présents sur place, la maire de Randan, Sandrine Couturat, et le vice-président de Plaine Limagne en charge des gens du voyage, Jean-Jacques Mathillon, saluaient l’initiative, même s’ils concédaient ressentir parfois une certaine "lassitude dans la politique d’intégration des gens du voyage". Ils pointent notamment des dégradations à répétition, comme sur l’aire d’accueil de Maringues qui est d’ailleurs définitivement fermée.
Mais pas de quoi entacher la positivité des deux artistes, eux aussi ravis. Alors que la peintre ironise : "Ils n’en ont pas fini avec moi, je vais revenir les voir." Le photographe plaisante : "J’espère qu’ils me rappelleront pour les photos de mariage."
Roman Routault
(*) Les Yéniches sont une ethnie semi-nomade d’Europe aux origines variables.
La famille de "gens du voyage" qui vit sur l’aire d’accueil de Randan est manouche - peuple de voyageurs venu d’Allemagne - et parle une langue proche de l’alsacien - et le français, évidemment. À l’occasion de l’exposition en leur honneur, certains d’entre eux se sont livrés sur leur mode de vie et leur culture.
Un homme rencontré à l’entrée de l’aire ironise : "Je suis chef en fait." Il exerce un emploi à responsabilité dans une entreprise des alentours. Loin d’être un cas isolé, il partage son point de vue sur l’une des plus importantes entreprises du secteur. "Limagrain, ça fonctionne qu’avec des voyageurs, sinon il n’y a rien." Usines, récoltes, artisanat, les voyageurs sont un véritable rouage de l’économie locale.
La politique non plus ne leur est pas étrangère, pour preuve, certains étaient à l’école avec les maires qu’ils connaissent donc très bien. Il faut dire qu’ils vivent sur le territoire depuis des générations. Depuis 2008, cette famille est installée sur l’aire qui était à l’origine prévue pour du passage. Cette sédentarisation s’explique par des raisons pratiques.
On ne voyage plus, sauf pour quelques travaux saisonniers. En fait, c’est plus simple pour la famille, avec les enfants qui vont à l’école aussi, et même les réseaux qu’on crée pour travailler.
Pour vivre sur l’aire, il faut payer, l’eau et l’électricité comme pour tout le monde, ainsi qu’un loyer pour l’emplacement et le bloc sanitaire et cuisine. Environ 10 € par caravane à la semaine.
Demande d’une aire d’accueil familialeUne situation parfois source de tension, pour ces locataires qui aimeraient être traités comme les autres. "On demande que l’aire soit entretenue, mais ils (la communauté de communes, ndlr) ne font rien. Au final, on doit tondre et élaguer nous-même."
Une famille, dont le bloc sanitaire a pris feu suite à un court-circuit électrique, dénonce une situation "injuste". Leur caravane a été déplacée sur une zone de parking. "Ils attendent des assurances pour finir les travaux, mais nous, pendant ce temps, on paie et on n’est pas sur notre emplacement."
Au-delà des problèmes du quotidien, il y a le désir d’accéder à une solution plus durable telle qu’une aire d’accueil familiale, avec une pièce à vivre pour se retrouver. Car la vie en communauté rythme les journées de ces familles.
Les plus jeunes donnent quelques sueurs froides aux parents en allant à toute berzingue sur leur vélo. Des craintes justifiées puisqu’ils montrent fièrement les cicatrices d’accidents aux genoux.
Des adolescentes beaucoup plus calmes discutent à côté. Elles sont au collège et l’une d’entre elles, plus âgée, essaie de calmer son fils visiblement très énergique. Pas fans du collège, elles concèdent : "De toute façon, chez nous on arrête à 16 ans et après on cherche un mari." À l’évocation du féminisme, ou de la poursuite de l’école, elles répondent par la négative. Impossible de juger ces jeunes filles à la culture si différentes et pour qui les rêves peuvent être bien différents des autres.
R.R.