Paysans de Dieu : l'ode aux Cantaliens d'un moine travailleur des champs
François Cassingena-Trévédy reçoit en combinaison des champs, d’une poignée de main calleuse. Dans sa cuisine comme on en voit tant dans nos campagnes : crédence en carrelage marron, grande pendule murale, et large table en bois avec l’Union du Cantal dans un coin. Rien de surprenant pour un agriculteur… Mais beaucoup plus pour un moine. Il faut dire que frère François Cassingena-Trévédy est un peu des deux.
RacinesQuand il se décrit, c’est avant tout en amoureux de l’Auvergne et des paysans. « J’avais des racines dans la région. Enfant, je venais régulièrement en vacances au Mont-Dore. Et j’étais fasciné par ce pays, par la neige, et par la paysannerie qui, alors, était très profonde. La vie était rude, et les agriculteurs étaient des figures. »Mais il prend une voie plus spirituelle que terrienne. Il fait Normale sup’, avant de rentrer dans les ordres, chez les bénédictins. Il vit quinze ans dans une communauté du Puy-de-Dôme, à Notre-Dame du Randol, puis 25 dans la Vienne. En parallèle, le docteur en théologie enseigne dans des universités catholiques, et entame une carrière d’écrivain.
Découverte« Mais j’ai toujours conservé mon attraction pour l’Auvergne. En 2015, j’ai obtenu l’autorisation de venir marcher 15 jours. Je suis parti du lac Pavin pour aller au Puy Mary. Et j’ai découvert ces paysages du Cézallier qui m’ont fasciné. » Il en tire un livre à succès, plusieurs fois réédité depuis, Cantique de l’infinistère. « Mais je ne m’imaginais pas pour autant un jour venir vivre ici. J’ai franchi le pas en 2020, pendant le covid. L’idée de venir dans le Cantal avait fait son chemin, et j’ai pu bénéficier d’un statut, je ne dirais pas original parce que je ne suis pas quelqu’un d’original, mais singulier. Je reste attaché à ma communauté, je reste prêtre, je sers les paroisses locales, mais je vis désormais seul. »
TravailÀ Sainte-Anastasie, le lieu d’une nouvelle retraite, au sein d’une nouvelle communauté. Dans laquelle il s’est intégré, et où tout le monde le connaît. « J’ai beaucoup marché, je suis allé vers les gens, je leur ai parlé, et ils m’ont accepté. Un temps, j’ai pensé à passer mon permis de conduire. Mais à quoi bon ? Je marche rarement longtemps, il y a toujours quelqu’un qui me reconnaît, et qui me prend en stop. J’ai l’impression que je vis ici depuis 50 ans ».Mais ceux qui le connaissent le mieux, ce sont certainement les agriculteurs du coin. Car l’ecclésiastique est devenu, progressivement, paysan. Une sorte de service de remplacement, bénévole, à lui tout seul.
Souvent, après les vêpres, je mets ma combinaison, et je vais voir une ferme pour aider. Ça peut être dès le matin aussi, et je travaille toute la journée. M’occuper des bêtes, traire, mettre des clôtures, travailler aux champs… tout me plaît.
En particulier les gens d’ici « qui ont des valeurs, qui sont généreux, sages, même si leurs vies sont souvent rudes. »
HommagePour lui rendre un peu de ce que ce Cézallier lui a donné, il a écrit un nouveau récit. « Cette fois, ce ne sont plus les paysages, mais la vie des Cantaliens que je décris. En les nommant, ils se reconnaîtront. » Dans Paysans de Dieu, qu’il a construit comme un journal, au jour le jour, de noël à noël.
J’y décris le travail au fil des saisons, la neige, les orages, la pose des clôtures, la chasse, mais aussi les baptêmes, les pèlerinages… des choses simples, qui font du bien dans notre monde si compliqué, si effréné. C’est un encouragement à une vie paisible, faite de paix, de bienveillance.
Un sujet terre à terre qui se prête bien à ses envolées, à sa poésie. « Il y a de si belles choses ici, j’ai voulu exalter le quotidien cantalien. Sans rien angéliser : je raconte tout ce qu’il y a de dur dans une vie paysanne, je ne fais pas fi du contexte actuel. »Celui qui se place sous le patronage de Pourrat ou Vialatte, qui estime tout autant Marie-Hélène Lafon, « même si on a fait le chemin inverse, ce qui ne nous empêche pas de nous croiser avec plaisir », rend ainsi grâce à sa nouvelle communauté.
Paysans de Dieu. Aux éditions Albin Michel. 21,90 €.
Yann Bayssat