Cabu illustre la Rafle du Vel'd'hiv : une exposition exceptionnelle à découvrir à Tarnac

"Ce n’est pas moi la star, ce sont les dessins de Cabu". Véronique Cabut a beau se cacher des appareils photos, c’est pourtant bien qu’elle soit là. Présente, ici, le samedi 14 septembre à Tarnac, à l’occasion du vernissage.Tarnac, 350 habitants, la première commune de France à accueillir l’exposition consacrée à la rafle du Vel’d’hiv illustrée en 1967 par Cabu, le célèbre dessinateur tué au cours de l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015. Aujourd’hui, Véronique Cabut se dit heureuse et très émue de revoir ces 16 "extraordinaires dessins qui racontent l’Histoire » et illustrent l’évènement.

L’histoire, c’est l’arrestation les 16 et 17 juillet 1942 de 13.000 juifs exigée par le régime nazi et pilotée par 9.000 membres de la police française. La plus grande arrestation de masse en France. L’histoire, c’est aussi ce qu’il advint de ces gens, hommes, femmes et enfants, qui resteront quelques jours dans les camps de Pithiviers ou Drancy, dans des conditions épouvantables, avant d’être envoyés dans les camps d’extermination en Allemagne et en Pologne.L’exposition a été montée de concert avec le Mémorial de la Shoah, la municipalité de Tarnac et grâce à l’engagement personnel de l’historien Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS, grand spécialiste du régime de Vichy. Sur 16 kakémonos sobrement présentés, il a extrait de son ouvrage paru en 2023 chez Grasset, la Rafle du Vel’d’hiv, de petits textes qui voisinent avec les dessins de Cabu, les uns éclairant les autres.Ce ne sont pas les originaux de Cabu, bien sûr, mais des reproductions de grande qualité que les visiteurs découvrent.

Et c’est le choc ! Les 16 panneaux d’exposition dressent une chronologie de l’évènement et des journées qui ont suivi. Pour cette mission, le crayon de Cabu se fait d’une précision redoutable.Pas le Cabu du Grand Duduche, pas le Cabu du club Dorothée, de Mon beauf’ ou de Charlie hebdo, un Cabu journaliste (carte de presse 21.991) soudainement aux prises avec la tragédie et qui se hisse, sa personne et son talent, à la hauteur de l’Histoire. Il s’attache ainsi aux détails avec une minutie d’horloger. " Voyez comme les dessins s’attardent sur les regards des personnages" fait remarquer Véronique Cabut. 

C’est vrai, certains dessins de foule exigent de détailler les scènes : et voir comment le drame personnel d’un individu ou d’une famille s’inscrit dans celui, collectif, des 13.000 personnes arrêtées, puis séparées, puis déportées. Cabu écrira : " J’ai fait des cauchemars en illustrant ce livre".Catherine Rabu, qui accueille et guide les visiteurs pour la mairie de Tarnac, partage l’émotion des visiteurs : " Depuis le 2 septembre que l’exposition est ouverte, je vois les gens repartir très émus, un peu secoués par la visite ".

Le choc encore car, de la Rafle du Vel’d’hiv, sans doute l’évènement le plus marquant de la Shoah sur le sol français, une seule photographie subsiste. Peut-être prise du haut d’un balcon, elle montre quelques autobus stationnés devant le vélodrome d’hiver. Il aura donc fallu le talent de Cabu pour que nous en ayons une représentation. " Ce n’est pas seulement une histoire d’imagination, indique encore Véronique Cabut, il avait une mémoire visuelle incroyable. Lorsqu’il avait 12 ans, Cabu a gagné un concours dont la remise de prix a eu lieu au Vel’d’hiv avant sa destruction et il en avait gardé un souvenir si précis qu’il a pu le dessiner de mémoire ".Cette exposition n’a été montrée que deux fois, en 2022, au Mémorial de la Shoah à Paris et au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) qui sont des lieux de mémoire.Les initiateurs de l’expo ne cachent pas qu’ils souhaitent désormais, après Tarnac, qu’elle puisse être accueillie dans d’autres villes… d’autres villages. " Et qu’elle soit vue par le plus grand nombre possible de jeunes gens, de scolaires.  J’aimerais que les enseignants se saisissent de l’opportunité d’un cours d’histoire », conclut Véronique Cabut".

 Pratique. L’exposition a lieu salle des Petites maisons juste à côté de la mairie de Tarnac. Elle est visible jusqu’au 23 octobre. Elle est ouverte tous les jours sauf le lundi de 10 à 12 heures et de 15 à 17 heures. Entrée gratuite. 

Dans le journal Le Nouveau CandideC’est à la demande du journal Le Nouveau Candide, journal d’obédience gaulliste, que Cabu a réalisé cette série de dessins sur la Rafle du Vel’d’hiv en 1967.  Certains visiteurs pourront déplorer la présentation qui est faite de ce journal au sein de l’exposition : on y vilipende un « hebdomadaire de droite, soutien du Général de Gaulle, volontiers racoleur avec ses titres accrocheurs ». Et alors ?On accuse également ce journal « d’user du filon juif pour créer la polémique ». Que Le Nouveau Candide n’ait pas été exempt de reproches, peut-être. Ou peut-être pas ! Toutefois, il est bon de rappeler que le directeur de la publication, Pierre Lazareff, célèbre personnage de l’époque… était juif ! On comptait parmi les collaborateurs André Frossard, chrétien, d’origine juive revendiquée, résistant de la première heure, lui-même arrêté par la Gestapo en 1943 et interné dans « la baraque aux juifs » à la prison de Montluc à Lyon.On y lit aussi Jean Dutourd, résistant, évadé deux fois, l’auteur du célèbre roman Au bon Beurre, célèbre diatribe contre la collaboration et le marché noir. Et encore l’écrivain Gilles Perrault, peu suspect d’antisémitisme…Cette présentation est un faux pas quelque peu malheureux.

Arnaud Besnard