L'ethnobotaniste Geneviève Michon vient en Creuse nous rappeler que l'arbre est "le pilier fondamental"
Vous avez beaucoup travaillé sur le lien entre agriculture et forêts, aux quatre coins du globe.
J’ai commencé ma carrière dans le monde tropical où j’ai découvert les agroforêts, c’est-à-dire des systèmes de culture qui reprennent complètement celle de la forêt mais qui sont gérées par les hommes. J’ai retrouvé ça partout dans le sud-est asiatique, en Afrique et des choses très équivalentes en Amérique tropicale. Au bout de 20 ans, je suis passée au monde méditerranéen, au Maroc et en Corse, et j’ai rencontré la même chose, avec des arbres omniprésents dans les systèmes de cultures et d’élevage.@Floris Bressy
On a commencé, en Europe, à parler d’agroforesterie pour les zones tempérées, de réintroduction des arbres pour retenir l’eau, pour lutter contre l’érosion, mais c’est ce que l’on faisait jusqu’à la révolution industrielle de l’agriculture.
Il y a énormément de structures qui nous ont été léguées par nos anciens, énormément de savoirs sur la façon de gérer les arbres qui constituent une base pour reconstruire l’agroforesterie et une source d’inspiration pour l’agriculture de demain. C’est du bon sens et c’est une pratique quasi universelle, parce que l’agriculture et l’élevage ont besoin des arbres, la terre a besoin des arbres, c’est une évidence.
On pourrait percevoir l’arbre comme un élément du paysage, immobile, passif, mais n’est-ce pas tout le contraire ?
L’arbre est le pilier fondamental, il est indispensable pour la fertilité du sol et le cycle de l’eau. Notamment de ce qu’on appelle l’eau verte, c’est-à-dire le recyclage de l’eau à travers la végétation, en particulier la végétation arborée. Si on veut à la fois rendre accessible l’eau profonde et réamorcer un cycle de l’eau verte, il faut des arbres, c’est indispensable. Et des arbres plutôt en structure variée parce qu’on s’est aperçu que l’eau bleue, l’eau qui vient des océans, est attirée à l’intérieur des terres par la végétation.@ Marion Boisjot
Elle se condense et la condensation est meilleure là où il y a des structures arborées hétérogènes, les reliefs, des crêtes et des creux de végétation, des arbres plus et moins grands, des arbres à terre, des strates de végétations différentes. Et les forêts naturelles présentent au niveau de leur canopée cette structure hétérogène. Les plantations monoculturales de pin, de sapin évidemment non.
Il est évident qu’enlever des arbres ne va pas aider le cycle de l’eau, ça va accentuer le dessèchement des rivières, l’abaissement des nappes. On peut même le calculer…
Est-ce qu’avec le changement climatique en cours, il faut repenser les arbres comme de précieux alliés naturels ?
Oui, mais pas n’importe quels arbres et pas n’importe comment. Si on transforme tout en plantations de pins, ça ne va pas marcher… @ Julie Ho Hoa
Planter un milliard d’arbres comme le prévoit le plan de relance par exemple, c’est une fausse bonne idée ?
C’est une vaste supercherie. On plante un milliard d’arbres, quasiment que du résineux parce que ça pousse plus vite et que leur forme se prête très bien au traitement industriel. Et il faut aussi le plus possible alimenter des filières de bioénergie, ce qui demande énormément de bois.
Donc aujourd’hui, on est en train d’accentuer l’industrialisation de la forêt de façon beaucoup plus rapide, plus intense et plus inquiétante, exactement comme ça s’est passé pour l’agriculture.
Et pour planter, on va, au préalable, tout arracher, y compris les souches et les systèmes racinaires, ce qui détruit les sols, donc on va mettre des engrais pour que ces nouvelles cultures s’implantent, et comme les maladies arrivent assez vite, des insecticides et des fongicides. C’est le modèle agricole appliqué à la forêt.@Bruno Barlier
La Fête des simples 2024. Il s’agit du plus important salon national des producteurs de plantes aromatiques et médicinales de France, qui se déploie cette année sur le thème de l’eau, du 4 au 6 octobre, sur l’île de Vassivière. Geneviève Michon sera présente, ainsi que de nombreux autres intervenants autour de la problématique : « Adaptation et résilience face à la pénurie annoncée ». Elle tiendra une conférence samedi 5 octobre à 16 heures. Tout le programme sur www.fetedessimples.org.
@ Julie Ho Hoa Il y a cet argument selon lequel les essences locales actuelles sont condamnées et qu’il faut les remplacer…
Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. Sous le prétexte du changement climatique, on est en train de créer une filière éminemment rentable à très court terme. On nous dit que de toute façon, nos forêts ne vont pas résister donc avant qu’elles ne dépérissent, on va les rentabiliser et mettre autre chose à la place. C’est d’un cynisme incroyable.
Il y a un signe qui ne trompe pas, c’est que la forêt est devenue le troisième poste d’investissement des grands groupes financiers après les actifs financiers et la construction immobilière. Ça veut dire quelque chose. Avec ce plan, on aura bousillé les sols, des sols qui sont très fragiles et on aura créé un désert. Un vrai.
On présume trop de l’inadaptabilité des arbres, on anticipe trop le remplacement d’essences selon vous ?
Je pense qu’on est assez ignorants sur ce point et qu’il ne faut pas raisonner en termes d’essence, mais en termes d’individus et de ce que les écologues appellent des stations. Il y a des endroits où ça va résister et des endroits où ça ne va pas résister. Notre problème, c’est cette espèce de systématisation des problèmes et des solutions. Il faut être beaucoup plus nuancé.@ Bruno Barlier
J’habite en partie dans le Sud-Cévennes où il y avait des forêts de châtaigniers, beaucoup de châtaigneraies à bois qui étaient traitées en cépées. Le châtaignier n’aime pas ça, les souches s’épuisent, les maladies sont arrivées, là-dessus, la sécheresse, tout est en train de mourir. Mais c’est aussi le traitement qui a été appliqué à ces arbres qui fait qu’ils ne résistent pas. Ils ne sont pas au bon endroit et ils n’ont pas été traités comme il faut. Dans ces endroits-là, le changement climatique va faire des dégâts monstrueux.
Et puis, il y a d’autres endroits où des arbres qui vont résister mieux que d’autres parce que ce ne sont pas des individus chétifs en survie. Il ne faut surtout pas systématiser.
Regardez l’épicéa. C’est un arbre robuste mais quand on le traite comme on l’a traité en plantations, serrés les uns contre les autres, planté hors de son aire optimale, il se fait attaquer par les scolytes et tout meure. Le problème, ce n’est pas l’arbre en lui-même, c’est la façon dont on l’a introduit dans un paysage et la façon dont on le traite.
@ Julie Ho Hoa Trop de gestion humaine peut parfois avoir des conséquences plus néfastes que les bouleversements naturels ou climatiques ?
Pour les forestiers, une bonne forêt est une forêt gérée, ils pensent que s’ils ne s’en occupent pas, elle va mourir, même en dehors du changement climatique, si l’homme ne gère pas, c’est l’effondrement. On se demande comment a fait la forêt depuis 450 millions d’années ! Le forestier, il va peut-être planter le chêne mais qu’est-ce qui le fait pousser, ce n’est pas le forestier, c’est l’eau, l’air, le sol, la photosynthèse, ce sont les dynamiques naturelles qui font pousser la forêt, le forestier, il n’y est pas pour grand-chose, il pilote juste le système de production.
On parle souvent de cultures du sud qui peu à peu se trouve transplantées plsu au nord, des amandiers par exemple, c’est pertinent ?
Je pense que ça peut être une bonne idée dans la mesure où ce n’est pas systématique.
Planter quelques espèces qui sont plus résistantes à la sécheresse, pourquoi pas. C’est intéressant aussi de voir comment les végétations locales résistent à la sécheresse. Il y a des individus qui vont s’adapter, et ces individus là vont intégrer, dans leur génétique, cette capacité à résister. Et la transmettre à leur descendance.
Les personnes les plus réactives aujourd’hui au niveau de l’agroforesterie et de la replantation d’arbres, ce sont les vignerons, les viticulteurs. Parce qu’ils ont le couteau sur la gorge et ça a même commencé à entamer la carotide. Depuis trois ans, ils ne vivent que des aides pour des catastrophes climatiques. Soit c’est la grêle, soit c’est la sécheresse, soit c’est le gel, soit c’est l’arbre.@ Julie Ho Hoa
Ils s’aperçoivent aujourd’hui que leurs sols sont épuisés, leur matériel végétal est dans un état déplorable et que la vigne, qui a très peu de racines, ne peut pas résister. Donc, évidemment, tout va mourir. Ils le savent et ils essayent de faire autre chose, dans tous les grands domaines. On replante des arbres, parce qu’il faut trouver un autre moyen de produire du vin dans des conditions de sécheresse.
Ce week-end, en parallèle de la Fête des simples, une grande manifestation nationale est organisée à Guéret contre un projet de méga scierie en Corrèze et d’usine à granulés Biosyl, à Guéret. Les opposants craignent des coupes rases et une surexploitation des forêts, notamment de feuillus.
C’est une crainte tout à fait légitime et qui n’est pas du tout improbable. On est dans une course en avant, et puis après, il va se passer quoi ? Quand ils auront coupé, il faudra continuer à alimenter ces usines. Tout ce qu’on peut faire pour informer, sensibiliser, mobiliser, c’est essentiel.
Contre ces gros projets forestiers, il faut de l’action civile et de la résistance. On se dit que ce ne sont que des luttes locales mais justement, ça commence à faire système. Plein de gens se mobilisent. Il y a des mouvements qui essayent de lier ces luttes locales et on voit bien que ça s’inquiète les gouvernements. En tout cas, se battre pour la forêt, se battre pour l’arbre, c’est indispensable.
@ Bruno Barlier L’argument de la transition énergétique, de se fournir en ressource renouvelable ?
Dans cette industrie soi-disant verte, on continue pareil qu’avant sauf qu’on repeint en vert. Mais il n’y a rien de vert là-dedans. La seule transition qui est en cours, c’est l’industrialisation de la production forestière. Pourtant il y a des alternatives à la production de bois, des arbres qui seraient traités en trogne par exemple. Ce n’est sans doute pas aussi immédiatement rentable et ça demande un autre type de main-d’œuvre parce que c’est un processus qui ne peut pas être totalement industrialisé.
En Europe, ça existe depuis 2.000 ans, tous les arbres des bocages étaient traités en trogne pour nourrir le bétail et fournir du bois énergie.
Donc si on voulait vraiment exploiter du bois et créer une économie et des emplois, de façon durable, on pourrait s’orienter vers ça. Il y a peut-être d’autres façons de produire du bois, de produire du combustible, de produire de la nourriture, une autre façon de vivre.
Est-ce que le fond du problème, ce n'est pas tout simplement la vision que l’on a de la forêt, une vision purement utilitaire ?
Pas que des forêts d’ailleurs ! Le fond du problème, c’est l’exploitation capitaliste d’aujourd’hui, poussée à l’extrême, où tout est considéré comme une ressource pour faire de l’argent sans aucune conscience de ce que ça va impliquer aujourd’hui et demain. D’autant plus poussée à l’extrême qu’on sent bien que tout ça va avoir une fin et que ceux qui sont aux commandes se disent qu’ils veulent en profiter un maximum.@ Bruno Barlier
La forêt est victime de cela mais toutes les ressources naturelles aussi. J’ai lu un reportage sur le béton. Du fait de la demande croissante en béton pour la construction, le sable devient une ressource rare et il y a donc des plages entières, des fonds de rivière qui sont pillés...
Dans un département comme le nôtre, est-ce que le monde agricole peut avoir un rôle à jouer dans l'avenir des arbres ?
Il a un rôle à jouer en proposant des sources de bois alternatives, en se remettant à travailler avec les arbres, à la fois pour la fertilité du sol et pour l’alimentation des troupeaux. Les animaux ont besoin de manger un peu d’arbres parce qu’il y a des éléments comme la lignine et des minéraux qu’ils ne trouvent pas dans l’herbe.@Laetitia Chrétien
Techniquement, ce n’est pas très compliqué pour les agriculteurs de se remettre à gérer l’arbre, les haies, à replanter, à faire des trognes et à produire du bois. Pour l’environnement, c’est parfait.
C’est pour les normes et tout le cadre institutionnel dans lequel évolue l’agriculture aujourd’hui que c’est compliqué. Au niveau du calcul des aides de la PAC, quand on plante des arbres, il faut les planter à certains endroits et pas à d’autres, si vous vous trompez de trois mètres carrés, c’est fini, on vous enlève les aides. Donc là, il y a un vrai problème pour que ce soit incitatif.
Votre intervention doit donner quelques pistes justement sur la place de l’arbre dans les pratiques agricoles bouleversées par le changement climatique.
C’est une conférence sur l’animal, l’arbre et la forêt, en particulier face aux changements climatiques. Je parle d’exemples de gestion des arbres que je prends un petit peu partout dans le monde méditerranéen, qui est déjà un monde sec, pour donner des idées. On n’est pas dans la Creuse, mais ça risque d’être la Creuse dans pas longtemps.@Laetitia Chrétien
Dans des conditions d’aridité, on ne pourra plus planter de céréales, donc l’élevage et l’élevage pastoral en particulier, sont des formes d’adaptation à des conditions de milieux qui sont difficiles, qu’on ne peut pas exploiter. On envoie les animaux exploiter en quelque sorte ces territoires et ramener à travers leur viande, leur lait, ces ressources.
Dans le Lot, où on a une alternance de prairies et de petits bois, on a aujourd’hui des agriculteurs bovins qui ouvrent ces petits bois pour le bétail. D’abord parce qu’ils vont y trouver à manger mais aussi parce que l’été, ils sont à l’abri de la chaleur.@ Hervé Chellé
Mais pour revenir à l’actualité de votre région, je vais évoquer combien il est indispensable de remettre de l’arbre, non seulement pour l’agriculture et pour l’élevage, avec les conditions climatiques qui arrivent mais aussi à un niveau plus global, celui des paysages, il est indispensable de conserver des forêts qui soient des forêts, qui ne soient pas des champs d’arbres.
Il faut aussi apprendre à voir les choses autrement et sur le long terme. Une génération d’hommes, c’est 80 ans, c’est long, il peut s’en passer des choses donc si on ne planifie pas à 80 ans, si on planifie sur l’année prochaine, ça veut dire quoi ? Qu’on se fiche complètement de nos enfants. On ne peut pas raisonner à court terme. Prenons soin d’eux, prenons soin des arbres.
Propos recueillis par Julie Ho Hoa julie.hohoa@centrefrance.com Photos : Marion Boisjot, Laetitia Chrétien, Floris Bressy, Bruno Barlier, Julie Ho Hoa, Hervé Chellé