Un projet photovoltaïque agite le conseil municipal de cette commune de Creuse
C’est l’élément qui a incité Marie-Amal Bizalion à acheter sa maison dans le hameau du Vignaud, il y a bientôt 25 ans : la vue. Derrière la charmante petite bâtisse en granite s’ouvre en effet une vaste prairie bordée de beaux chênes. Un tableau bucolique qui pourrait être perturbé d’ici quelques mois par la construction d’un hangar agricole de 61 mètres de long et de plus de 6 mètres de haut, et d’une stabulation de 80 mètres de long et de près de 7 mètres de haut. Le tout couvert de toitures photovoltaïques.
Ce projet porté par l’exploitation agricole voisine et le producteur d’énergie Girasole (voir ci-dessous) provoque l’ire de Marie-Amal Bizalion. « Tout cela va nous barrer le paysage et nous gâcher le coucher de soleil », déplore celle qui déclare passer environ cinq mois de l’année en Creuse.
Peut-on construire une installation photovoltaïque à moins de 200 mètres des habitations ?De son côté, le responsable du Gaec, Emmanuel Foreau, assure « comprendre que le paysage soit quelque chose d’important » pour Marie-Amal Bizalion. Il indique qu’il a proposé de « planter une haie » pour dissimuler les bâtiments. Mais ajoute : « Ça n’est pas un amusement pour nous, c’est pour notre travail. » L’éleveur précise qu’il a « besoin » de ces nouveaux équipements pour abriter ses vaches et son matériel. Et qu’il ne dispose pas d’autres emplacements que la prairie du Vignaud pour les accueillir.
La vue de Marie-Amal Bizalion et de ses voisins dans le hameau du Vignaud pourrait être modifiée par l’édification prochaine de deux bâtiments agricoles avec panneaux photovoltaïques en toitures. Photo : F.Delotte
Cette histoire aurait pu demeurer un banal conflit de voisinage. Mais c’était sans compter sur une délibération du conseil municipal datant du 14 décembre 2023, indiquant que « la commune d’Anzême et ses habitants restent […] ouverts à l’installation de photovoltaïque domestique et/ou artisanale et/ou agricole en toiture et les terres incultes et/ou non exploitées, et où dégradées, artificialisées, de méthanisation industrielle ou non à plus de 200 mètres de toute habitation ».
Or, les constructions qui doivent sortir de terre se trouveront à une centaine de mètres de la maison de Marie-Amal Bizalion et de celle de ses plus proches voisins, qui s’opposent également au projet. Ce qui, par ailleurs, n’a pas empêché la mairie de signer le permis de construire déposé par le Gaec Foreau.
Des éléments qui ont incité Marie-Amal Bizalion à envoyer un recours gracieux à la mairie pour contester le permis de construire. Mais sa demande a été rejetée le 26 septembre dernier, car, selon la maire de la commune de 540 habitants, Viviane Dupeux, la distance de 200 mètres mentionnée dans la délibération de décembre 2023 ne concernerait que « des projets de méthanisation. »
« Ce projet de bâtiment agricole n’est donc pas concerné par cette règle et n’a pas lieu d’être retiré », poursuit l’élue qui souligne par ailleurs que le permis a été déclaré conforme par la préfecture.
Un nouveau vote pour « clarifier le texte »Toutefois, tout le monde au sein du conseil municipal ne semble pas avoir la même interprétation du texte voté en 2023. À commencer par la première adjointe à la maire, Josiane Guerrier.
Celle-ci relate :
Cette délibération concernait les “Zones d’accélération d’énergies renouvelables”. Dans ce cadre, la commune était appelée à définir ce qu’elle souhaitait ou non en matière de renouvelables. Nous avons indiqué ne pas vouloir des éoliennes. Mais nous avons décidé de prendre en considération les autres types de productions, y compris le photovoltaïque sur toitures agricoles, si les projets se trouvaient à plus de 200 mètres des habitations.
L’Association agir pour la qualité de vie à Anzême, qui lutte principalement contre l’implantation d’éolienne dans la commune, s’est aussi saisi de ce dossier. Sa présidente, Muriel Moehring, a écrit à la maire pour lui faire part de son incompréhension. Elle commente : « Nous pourrions tolérer une marge de 10 à 15 % par rapport à cette limite de 200 mètres prévue par la mairie. Mais, dans le cas présent, les bâtiments seraient bien en deçà de cette distance. »
Deux permis de construire ont été obtenus par le Gaec Foreau et la société Girasole Energies. Photo : F.Delotte
Face à ces différences de vues, la maire d’Anzême a souhaité organiser un nouveau vote afin de spécifier que seuls la méthanisation et les projets agrivoltaïques (panneaux photovoltaïques intégrés à des parcelles cultivées ou pâturées) seraient concernés par les fameux 200 mètres. « L’idée était de clarifier les choses », affirme Viviane Dupeux.
Risque de « favoritisme » ?Une décision qui n’a pas pour autant éteint la polémique au sein du conseil. Bien au contraire. Le vote devait était programmé vendredi 27 septembre. Or, celui-ci n’a pu se passer comme espéré par la majorité de l’assemblée. Comme en témoigne Josiane Guerrier : « L’un des membres du conseil est le beau-frère de l’exploitant agricole qui porte le projet. J’ai indiqué à la maire et au principal intéressé que si Mme Bizalion porte l’affaire en justice, nous pourrions être accusés de favoritisme au profit d’un membre de la famille d’un conseiller municipal. »
Seuls huit membres du conseil sur 15 étaient présents lors de la séance. Ledit beau-frère de l’agriculteur du Vignaud, Franck Roussillat, a accepté de se retirer. Le quorum n’ayant pas pu être atteint, le vote n’a finalement pu avoir lieu. Mais Franck Roussillat réfute tout conflit d’intérêts. Celui qui est aussi le deuxième adjoint de Viviane Dupeux lance :
Si l’on a plus le droit de faire signer des permis de construire dès que la demande émane d’un membre de sa famille, c’est grave.
Tout en insistant lui aussi sur le fait que le nouveau vote visait à « rendre le texte plus clair » afin que « l’on ne se retrouve pas avec un problème d’interprétation similaire à celui que nous rencontrons ».
Une ambition à laquelle ne renoncent pas le conseiller municipal et la maire de la commune, qui souhaitent soumettre de nouveau le texte au vote lors de la prochaine session du conseil, à la fin du mois.
Quant à lui, l’éleveur, Emmanuel Foreau, assure que son beau-frère « n’était même pas au courant » du projet de bâtiments photovoltaïques. « Il l’a appris lorsque nous avons fait une demande de permis », poursuit-il. Tout en s’interrogeant : « S’il y avait ces distances imposées, pourquoi madame le maire aurait-elle signé en bas du permis et donné son accord ? »
Une question que continue, elle aussi, de se poser Marie-Amal Bizalion. Et qui, plutôt que de lier ces voisins, n’aura contribué qu’à les éloigner ces derniers mois.
Précisions concernant Girasole Énergies. Girasole Énergies, société domiciliée à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) doit supporter l’investissement lié à la construction des bâtiments agricoles du Vignaud, ainsi que les coûts de raccordement des panneaux au réseau électrique. Elle doit ensuite exploiter l’installation photovoltaïque durant trente ans. À l’issue de cette période, les bâtiments et la centrale solaire deviendront la propriété de l’exploitation agricole. Girasole indique s’être référée au « règlement d’urbanisme en vigueur dans la zone, soit le Règlement national d’urbanisme (RNU) et le Schéma de cohérence territoriale (SCoT) de Guéret/Saint-Vaury », pour pouvoir lancer le projet du Vignaud. Ces documents ne mentionnent « aucune règle particulière concernant une distance minimale à respecter entre des habitations et des bâtiments agricoles avec toitures photovoltaïques », poursuit l’entreprise. Celle-ci ajoute qu’ « aucune communication officielle de la mairie allant à l’encontre de ce type de projet » ne lui aurait été faite. Et que « les permis de construire pour les deux bâtiments » lui ont été accordés « en mai 2024 ».
François Delotte