Cinquante médecins pour un village de Haute-Vienne, à proximité de la Creuse
Dix ans qu’Arnac-la-Poste, commune de 1.000 habitants du nord de la Haute-Vienne, à la frontière avec la Creuse, cherchait un médecin généraliste pour remplacer celui parti à la retraite en 2014. Dix ans de galère, à essayer de trouver des solutions pérennes, en vain, avant que tout ne se débloque en à peine quatre mois…
Depuis mercredi 2 octobre, le cabinet médical a en effet rouvert au cœur du bourg. C’est l’association Médecins solidaires qui y a installé un centre de santé. Rencontre avec l’initiateur de ce concept inédit, le docteur Martial Jardel.
Le centre de santé d’Arnac-la-Poste est le cinquième ouvert par l’association Médecins solidaires et le premier en Haute-Vienne. Comment est né ce projet associatif ?
« En 2021, à l’issue de ma thèse de médecine, j’ai réalisé un tour de France des remplacements pendant cinq mois, en camping-car. En effectuant dix remplacements de confrères sur quinze jours en zone rurale, j’ai eu la conviction que face à la problématique des déserts médicaux, les médecins ne pouvaient pas rester les bras croisés, à attendre que les politiques agissent et ne rien proposer de leur côté. Je me suis rendu compte que ce qui importait avant tout, c’était au-delà des questions d’attractivité d’un territoire ou d’un bâtiment disponible, le facteur humain. C’est-à-dire un groupe, une équipe qui se mobilise autour d’un projet.
Je me suis rapproché de Bouge ton coQ, une association qui œuvre en milieu rural pour recréer avec les habitants du lien social et des services de proximité, comme des épiceries solidaires. Je leur ai soumis l’idée d’un temps médical partagé solidaire, avec des médecins qui viennent une semaine par an, à tour de rôle, exercer dans une commune. Avec leur expérience en ingénierie, nous avons créé l’association à but non lucratif Médecins solidaires en 2022.
Le premier centre a ouvert à Ajain, à côté de Guéret, en octobre de la même année. Puis il y a eu Bellegarde-en-Marche, près d’Aubusson, en juin 2023, Charenton-du-Cher (Cher), en février 2024, Chantenay-Saint-Imbert, dans la Nièvre, en juin 2024 et enfin Arnac-la-Poste, en octobre. »
Comment convaincre des médecins de venir passer une semaine dans un coin, disons-le, perdu ?
« Le principe de base, c’est plutôt demander peu à beaucoup que de demander beaucoup à peu de médecins. Il suffit de 50 volontaires pour remplir le planning d’une année dans un centre (*).
Aujourd’hui, on compte près de 500 médecins investis dans le collectif : 35 % sont remplaçants, 34 % sont retraités, 29 % sont des libéraux installés dans des zones denses et qui n’ont pas de difficulté à s’absenter et se faire remplacer et 2 % sont salariés/hospitaliers. 160 ont déjà effectué une semaine dans un de nos quatre centres et certains sont revenus. 340 autres sont intéressés pour transformer l’essai. Ce sont nos ambassadeurs.
Le bouche-à-oreille fonctionne, on communique beaucoup sur les réseaux sociaux, via des partenaires qui disposent de fichiers de médecins (banques, éditeurs de logiciels, organismes de formation en continu) et dans les congrès de médecins.
Ce qu’on propose aux médecins, c’est – le temps d’une semaine, du lundi au samedi matin – de ne se consacrer qu’aux soins, tout ce qui relève de l’administratif et de la logistique est géré. Quand un médecin arrive dans le centre de santé, il dispose d’un local équipé avec le matériel médical et de deux coordinatrices à temps plein qui s’occupent du planning de rendez-vous, du tiers-payant, qui connaissent le territoire, la patientèle, qui sont en mesure de diriger vers les autres professionnels de santé, comme les infirmières et les spécialistes…
L’association prend en charge les frais de transport depuis son domicile, lui loue un véhicule de fonction sur place, l’héberge dans un gîte confortable, où il peut venir avec sa famille et lui laisse une demi-journée de libre dans la semaine pour découvrir les environs et peut-être lui donner envie de revenir… »
Des communes sans médecin, il y en a partout. Pourquoi avoir choisi Arnac-la-Poste ?
« Nous avons un plan de développement mixte. Nous avons choisi de nous déployer petit à petit en escargot, de façon excentrique, depuis notre première implantation à Ajain, mais aussi de façon plus éclatée, en permettant à des groupes de médecins d’importer le concept chez eux. Il y a un projet dans les Alpes-de-Haute-Provence, par exemple. Nous sommes présents dans trois régions aujourd’hui : la Nouvelle-Aquitaine, le Centre Val-de-Loire et la Bourgogne-Franche-Comté.
Le choix de la commune est lié à plusieurs critères : il faut qu’elle soit en milieu rural, dans une zone d’intervention prioritaire telle que définie par l’agence régionale de santé (ARS), qu’il y ait eu un médecin dans le passé pour que ça ne soit pas une offre ex nihilo et enfin que l’équipe municipale soit impliquée. Arnac-la-Poste remplissait tous ces critères dans un territoire en grande souffrance : le nord-est de la Haute-Vienne, à proximité de la Creuse.
Je suis médecin généraliste, installé depuis trois ans au Dorat et je suis évidemment ravi d’apporter ce projet dans mon département de naissance. À Arnac-la-Poste, le choix s’est fait très rapidement, en mai.
Cette accélération a été rendue possible grâce à la signature, début 2024, d’une convention avec l’ARS de Nouvelle-Aquitaine qui nous a octroyé une subvention de près de 1,4 million d’euros sur trois ans (**), pour créer huit centres de santé d'ici à 2026. Ce qui nous permet de financer à 100 % les salaires, le logement et tous les frais de fonctionnement des nouveaux centres de la région. »
Est-ce que l’association pourrait créer d’autres centres dans le département ou en Corrèze ?
« C’est trop tôt pour le dire. Nos prochaines implantations sont prévues à Ménigoute (Deux-Sèvres) et Reuilly (Indre) en novembre 2024. Nous continuons d’identifier de futures communes, puisqu’en Nouvelle-Aquitaine, il y aura trois ouvertures en 2025 et trois en 2026, mais nous souhaitons rester prudents, car chaque centre doit être à l’équilibre financier de manière autonome. Nous devons assurer la soutenabilité de tous les projets dans le temps. Pour l’instant, en deux ans, nous n’avons aucune défaillance d’un médecin sur les plannings de semaines et nous souhaitons que ça continue. »
(*) Les centres sont ouverts cinquante semaines par an : la semaine entre Noël et le jour de l'An et celle du 15 août sont fermées.(**) Les crédits sont de 369.000 € en 2024, 532.000 en 2025, 462.000 en 2026.
Hélène Pommier