Pourquoi le Département de l'Allier se rebelle-t-il contre des arrêtés ministériels ?
À l’heure de voter le budget supplémentaire (BS) pour 2024 du Département de l’Allier, le conseil réuni en session jeudi 3 octobre à Moulins a lancé une « alerte ».Il n’est pas encore question de voter un budget en déséquilibre comme avait pu le faire la gauche en 2011, mais de faire part de ses « inquiétudes » : « D’habitude, le “BS” consiste à corriger une trajectoire à la marge. Cette année, ce n’est pas le cas du tout et nous ne sommes pas les seuls en France », s’alarme Claude Riboulet, président du Département de l’Allier.
« Pour payer 5,5 M€ supplémentaires, on prend dans notre épargne. Nous avions provisionné un excédent pour faire une couche de désendettement en 2023, mais en 2024 nos comptes se dégradent. La cause première, c’est l’augmentation des dépenses sociales non compensées par l’État, sans qu’on ait de levier, ainsi que la dynamique naturelle du nombre de personnes accompagnées liée à la démographie sociale de l’Allier. Il y a davantage d’enfants placés à l’aide sociale à l’enfance, davantage de personnes reconnues handicapées… On a la revalorisation du RSA, les revalorisations salariales dans les établissements médico-sociaux. Dans le champ de la solidarité payé par le Département, on a dû absorber un surcoût de 2,3 M€ en 2022, 7,3 M€ en 2023, 15,2 M€ en 2024. Sur un budget total de 400 millions, ça commence à faire ». En parallèle, des recettes en baisse, par exemple -14,7 % pour les droits de mutation. Ou encore la « régularisation du produit de TVA 2023 », où il faut rembourser un indu d’1,1 M€.
« Il faut que l’État compense ! »Le Bourbonnais se rebelle : « Il faut que l’État arrête de charger les dépenses du Département si ce n’est pas compensé. Michel Barnier ou pas, ce sont les choses auxquelles l’État doit mettre fin. S’ils veulent des revalorisations, sur le fond, on est tout à fait d’accord, mais pas sans en garantir le paiement ». D’où le vote d’une motion émanant du bureau de « Départements de France », qui fait suite à des arrêtés nationaux « qui imposent le versement d’une prime forfaitaire de 183 € nets par mois à environ 112.000 salariés jusqu’ici exclus du Ségur, avec un effet rétroactif au 1er janvier 2024 », soit « 1 M€ non prévu dans le budget » : « Nous reconnaissons l’engagement des professionnels dans les secteurs essentiels », mais « nous suspendons le financement de cette mesure tant qu’une compensation intégrale n’est pas assurée par l’État. Qui décide paye, qui paye décide ».
2025 s’annonce morose : « À date, on ne peut pas présenter un budget de fonctionnement 2025 à l’équilibre. On sera à moins de 83 M€ d’investissement. On sait qu’en 2024 on va s’endetter. Notre épargne brute est descendue au même niveau que le compte administratif de 2015, alors que nous n’avions fait qu’augmenter jusqu’ici. La différence avec 2015, c’est qu’il nous restait un pouvoir fiscal qui nous permettait de faire des ajustements, par exemple le foncier bâti. Les finances du pays étaient “moins pires” ».
La gauche : "c'est pas nouveau !"Au moment du vote du budget supplémentaire, les élus de gauche et non inscrits se sont abstenus. Bernard Pozzoli (gauche) soulève qu’il existe « encore des marges de manœuvre » qui « permettent encore des choix politiques » qui « exigent » d’être faits et que les problématiques de compensations ne sont « pas nouvelles » : « Quand on avait voulu présenter un budget en déséquilibre, vous aviez crié à la manipulation. Sur le constat, on fait le même ! »
La conclusion du président du Département est politico-philosophique : « C’est le principe de la libre administration des collectivités territoriales qui est remis en cause. La liberté politique est atrophiée. On subit le budget plutôt que de le construire et le piloter. C’est mortifiant de constater qu’on devient un guichet délocalisé de l’État. Si on va jusqu’au bout, il n’y a plus besoin d’élus, il y aura juste besoin d’exécution ».
Mathilde Duchatelle