"Cette France des régions, c’est celle que j’aime" : la Corrèze dans le viseur du photographe Yann Arthus-Bertrand
Venez comme vous êtes. C’est, en substance, l’appel que lance le photographe Yann Arthus-Bertrand aux habitants de Saint-Angel et bien au-delà les 15 et 16 octobre.
Pour alimenter son projet Les Français et ceux qui vivent en France (*), il ouvrira son studio à tous ceux qui voudront tenter une expérience extraordinaire. « Il y aura peut-être 200 personnes, se réjouit Yann Arthus-Bertrand. Dès qu’on ouvre les réservations, c’est plein en une heure. Mais, même si c’est complet, il faut que les gens viennent, on trouve toujours de la place. »
Pourquoi venir à Saint-Angel ? On fait un gros travail sur les Français et on veut vraiment en avoir d’un peu partout. C’est très important pour moi, parce que cette France des régions, c’est celle que j’aime. Je me sens à l’aise dans ce milieu, j’y ai beaucoup vécu et ce sont des gens que j’aime.
Souvent, ils se sentent un peu oubliés, alors j’aime bien leur parler. Ils ont une vérité, une authenticité ; ils ont peut-être moins de scepticisme, ils sont plus ouverts. Ce sont des gens pleins de bon sens, qui rament tous les jours parfois ; on apprend beaucoup, c’est ça qui est intéressant.La famille Colas prise à Ousson-sur-Loire. (© 2024 par Yann Arthus-Bertrand)
Saint-Angel est l’un de plus petits villages dans lequel on viendra, mais on y passera autant de temps qu’à Lyon.
A quoi serviront ces photographies ? On a déjà photographié plus de 23.000 Français à travers la France. Cela fait 30 ans que j’ai commencé ce travail pour le journal L’Express ; il fallait qu’il mûrisse. Il aboutira à un livre, une étude un peu sociologique sur “qu’est-ce que c’est d’être Français ?”, avec des photos, mais aussi des chiffres de l’INSEE. Un peu comme La terre vue du ciel, c’est du travail qui me dépasse, mais que j’adore faire, qui me touche.
C’est une vraie France que j’ai envie de photographier, une France authentique. Mais pas du tout passéiste. Une France d’aujourd’hui. En fait, j’ai envie de faire France !
En vieillissant, j’aime de plus en plus les gens. Même si c’est un moment difficile, compliqué - l’image que nous donnent les hommes politiques n’est pas celle de la gentillesse ou de la bienveillance -, dans tous les studios que l’on fait, je suis toujours étonné par l’ambiance incroyable, presque d’amour, d’amitié et de tendresse qu’il y a entre tous ces gens qui viennent se faire photographier.Charles le boulanger, Boulogne Billancourt. (© 2024 par Yann Arthus-Bertrand)
Et en même temps, on parle, des déserts médicaux, des problèmes de transport… Ce ne sont pas seulement des photos de Français, c’est aussi s’interroger sur comment on vit au quotidien.
Qu’attendez-vous d’eux justement ? Je demande aux gens de venir avec leur famille, leurs amis, leurs collègues de travail, leur chien, leur chat… Il y a toujours quelque chose de spécial qui se passe dans ces studios.
On en est presque à la fin de ce travail, mais il y a des métiers qu’on recherche. Des routiers par exemple. S’il y a des routiers qui veulent venir se faire photographier, j’adorerais ! Je cherche aussi des hauts fonctionnaires, des centenaires aussi ; on en a déjà fait quelques-uns, mais j’aimerais bien en faire d’autres. Et puis des petits métiers traditionnels, électricien, plombier, boulanger… On travaille aussi beaucoup avec les bénévoles, énormément d’associations viennent nous voir.Les pompiers de Gex. (© 2024 par Yann Arthus-Bertrand)
C’est une vraie France que j’ai envie de photographier, une France authentique. Mais pas du tout passéiste. Une France d’aujourd’hui. En fait, j’ai envie de faire France !
Je demande aux gens de ne pas venir dans des vêtements apprêtés, plutôt des vêtements de tous les jours ou leurs vêtements de travail. Bien sûr, je ne peux pas leur reprocher d’être le plus beau possible, mais je n’aime pas quand les gens sont trop endimanchés. J’aimerais bien voir des femmes avec des bigoudis, je n’en ai pas encore !
Comment s’organise votre studio ? Mon assistante Françoise reçoit les gens, les place. On essaie de trouver des positions différentes à chaque fois. Il y a beaucoup d’amour, on met les gens en confiance, beaucoup d’empathie passe entre eux et nous.
En vieillissant, je suis bien plus intéressé par les visages que par les paysages. Moi qui ai photographié les plus beaux endroits du monde, je suis beaucoup plus attiré aujourd’hui par les gens. J’ai l’impression d’apprendre, de ressentir. Photographier les gens en famille, des gens qui s’aiment, qui sourient, c’est très fort.
« C’est inouï, l’ambiance dans les studios ! »
Dans cette France partagée après les récentes élections, on ne sent pas les tensions quand on photographie tous ces gens. C’est incroyable comme ils sont heureux d’être là ! Il y a toujours de la bonne humeur. Et c’est génial : comme autrefois chez le médecin, certains m’amènent des œufs, du miel, des fleurs… Ils amènent ce qu’ils ont, ce qu’ils font et j’adore ça ! Des charcutiers m’amènent des saucissons, alors que je suis végétarien, mais je les prends avec plaisir et on les partage. C’est vraiment inouï, cette ambiance dans les studios.La famille Koné Bocquet pris aux Mesnuls. (© 2024 par Yann Arthus-Bertrand)
Toutes ces rencontres ont-elles changé votre façon de faire de la photo ? Non, faire de la photo au fond, c’est assez facile. On appuie sur un bouton et quand les gens sont bien, la photo est jolie. On n’est pas des artistes en photographiant des gens, on est plutôt à leur service. En fin de compte, j’ai l’impression de ne pas vieillir, mais de grandir.
À la fin, on donne une photo à tout le monde. C’est rare de pouvoir en faire en studio, avec la famille. C’est une photo qui va rester, sur la cheminée, pendant longtemps. Je fais un peu comme les photographes de village. J’ai beaucoup de respect pour les photographes de mariage, de baptême… Pour moi, la photographie, c’est ça : saisir un instant précis dans une vie, c’est cette magie de garder un instant heureux. C’est un travail populaire et je me sens à ma place quand je le fais.
(*) Lancé il y a 30 ans, il l’a relancé en 2023 aux côtés du démographe et historien Hervé Le Bras. Il se concrétisera par la publication d’un ouvrage édité par Actes Sud et par une exposition majeure à travers la France.
Le studio sera installé à la salle polyvalente de Saint-Angel, place de la mairie, les mardi 15 et mercredi 16 octobre, de 10 heures à 18 heures. Les inscriptions seront ouvertes sur le site internet https://www.yabstudio.fr/inscriptions le mercredi 9 octobre (accueil 10 à 15 mn avant l’heure de la réservation). Quelques consignes : privilégiez des tenues de couleurs vives, choisissez une tenue de travail ou illustrant une thématique qui vous est chère et apportez un maximum d’objets les caractérisant.
Blandine Hutin-Mercier