À Clermont-Ferrand, les commerçants désabusés par le trafic de drogue : "On finira tous par baisser le rideau"
L’installation d’une caméra devant l’ancien Allo tacos de la rue des Plats, portes closes depuis plusieurs mois, a fait se déplacer de quelques mètres les dealers. Ils sont faciles à trouver. La nouvelle adresse, à quelques pas de là, en face le bureau de La Poste, a été fléchée par les trafiquants sur le mur opposé à l’ancien restaurant mexicain. Dans ce périmètre, entre la rue des Plats, la rue Rissler, la rue des Liondards et la rue Sévigné, on est au cœur du quartier Saint-Jacques. Au cœur aussi du trafic de stupéfiants. Là, où, samedi 5 octobre, un dealer s’en est verbalement pris à une commerçante.
Trafic jour et nuitCe n’est pas nouveau. Le trafic se fait au vu et au su de tous, jour et nuit. La présence des dealers - les charbonneurs - et des guetteurs qui, postés sur les trottoirs comme des vigies, avertissent de l’arrivée de la police, met le quartier sous tension. D’ailleurs, peu de commerçants que nous avons interrogés veulent s’épancher sur la situation.
"On finira tous par baisser le rideau", lâche l’un d’entre eux, entre désillusion et sentiment d’abandon. "On a laissé filer les choses à une époque. Maintenant, c’est fichu". "Ils ne sont pas devant mon commerce", se rassure un autre. "Je fais mon travail et ils font le leur. On ne peut rien faire. Mais je ne préfère pas en parler pour ne pas avoir de problème". Sur le pas-de-porte de sa boutique, Françoise (*) indique ne pas avoir eu maille à partir avec les petites mains du trafic : "Jusqu’alors, j’ai pas eu d’ennui. Espérons que ça dure?! "
"Ils font leur truc"À l’autre bout du quartier, un de ses confrères s’accommode des dealers qui chaque jour, à partir de midi, élisent domicile sous ses yeux : "Ils se mettent là, sur la place. Ils font leur truc. Je n’ai pas à me plaindre. J’ai acheté ce commerce il y a quatre ans, et je préfère être là que dans la rue des Gras où y’a pas mal de SDF avec des chiens".
Les commerçants subissent autant que les habitants du quartier. Une vingtaine d’entre eux a créé un collectif. Depuis quatre ans, ils font le même constat d’un climat "anxiogène" : "On ouvre nos fenêtres, ils [les dealers] sont là", décrit une riveraine, membre du collectif. "Ils se sont décalés vers l’îlot Sévigné". Ce qui a changé, ces derniers mois, confie-t-elle, ce sont les consommateurs : "On avait des clients mais là, on a de vrais camés qui viennent voler quelque chose quand ils ont besoin de 10 € ou ils nous demandent directement de l’argent en étant plus ou moins menaçants selon leur état de manque. La situation s’aggrave. On a peur."
Plus alarmant, la riveraine témoigne que des dealers ont essayé de recruter le fils, mineur, d’une habitante.
"On en peut plus"La semaine dernière, le “collectif habitants Saint-Jacques” a une nouvelle fois pris la plume pour écrire aux autorités : "On a envoyé un mail au préfet, au maire et à la députée Delphine Lingemann que nous avons rencontrée. On lui a dit qu’on en peut plus de vivre dans un tel contexte, qu’on se sent délaissé. On ne jette pas la pierre aux policiers mais les gens n’espèrent plus de réponses construites et efficaces des autorités". Les opérations XXL Place nette ? " Elles sont inefficaces".
Assis à un arrêt de bus, une baguette de pain posée à ses côtés, Farid (*), 73 ans, fait en sorte de ne pas croiser la route des dealers. Ancien habitant de la Muraille de Chine, il a déménagé à quelques bâtiments de son ancien HLM : "Je vois les jeunes se cacher dans les immeubles quand la police intervient. Ils s’éparpillent partout. C'est sans fin. "
(*) Le prénom a été modifié.
Leïla Aberkane