Pourquoi le bilan du plan de relance "forêt" est-il controversé en Limousin ?
D’ici quelques années, ce petit bout de forêt creusoise pourrait avoir des airs méditerranéens. Californiens même… « Il se porte plutôt bien », se réjouit Cyril Cabrit, gestionnaire forestier pour la coopérative Unisylva, en tenant la fine tige d’un jeune plan de séquoia toujours vert. Un jeune arbre mis en terre en 2023. Et qui, si tout se passe comme espéré, atteindra plusieurs dizaines de mètres de haut dans une poignée de décennies. Tout comme les autres individus de la même essence, plantés en ligne, sur la même parcelle.
Remplacer une plantation "râtée"Plus loin, on découvre des petits pins maritimes puis des sapins de Nordmann qui, eux aussi, selon Cyril Cabrit, poussent convenablement. Ces récentes plantations réalisées dans une vaste propriété forestière d’une soixantaine d’hectares dans la commune de Bonnat, au nord de la Creuse, ont bénéficié du plan France relance. En tout, plus de 8 hectares sont concernés par cette opération pour laquelle plus de 20.000 euros de subventions ont été alloués par l’État.
Des fonds sans lesquels ce projet « n’aurait pas pu être réalisé », assure Cyril Cabrit. Car, avant 2023, poussaient péniblement ici des sapins de Douglas plantés en 1985. Une essence qui, explique le forestier, n’a pu se développer convenablement du fait de l’altitude peu élevée (la station se trouve à 350 mètres). Mais surtout du fait du sol, argileux et « compacté ».
Cette plantation « ratée » a donc été coupée pour laisser place à des essences qui, a priori, seraient plus adaptées aux évolutions climatiques en cours et à venir, ainsi qu’aux variations hygrométriques du sol.
L’argent du plan de relance a, dans ce cas, concouru à financer l’achat des jeunes conifères et leur plantation. Mais aussi, en amont, à effectuer tout un travail du sol, celui-ci ayant été décompacté pour que les racines pénètrent plus aisément dans la terre. Par ailleurs, les végétaux, dont les branches et les souches présentes sur place, ont été déchiquetés avant d’être répandus sur le sol sous forme de broyât.
Cyril Cabrit, gestionnaire forestier pour la coopérative Unisylva, observe un jeune séquoia issu d’une plantation réalisée avec le concours du plan de relance, à Bonnat, au nord de la Creuse.
16 millions d'euros distribués en Limousin depuis 2020Cette opération menée en Creuse s’inscrit dans la volonté exprimée par Emmanuel Macron en 2022 de planter « un milliard d’arbres », dans notre pays, d’ici à 2032. Une ambition sylvicole en réalité entamée dès 2020, via le lancement du volet “forêt” du plan de relance. Un dispositif qui s’est achevé le 30 avril 2023. Mais qui fut ensuite prolongé par le plan “France 2030”, entre mi-2023 et mi-2024. Un autre dispositif baptisé “France nation verte” comprenant lui aussi un appel à projets relatifs au “renouvellement forestier” a par ailleurs été lancé par l’État l’été dernier.
Le Limousin, région dont le tiers de la surface est couvert par la forêt, est particulièrement concerné par cette politique volontariste dont l’objectif affiché est « l’adaptation des forêts au changement climatique », indique Nicolas Lecœur, chef du service de la forêt et du bois au sein de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Nouvelle-Aquitaine.
En tout, 4.000 hectares ont été concernés par quelque 16 millions d’euros d’aide accordés par l’État depuis 2020 en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne, selon les chiffres de la Draaf (lire par ailleurs). Un soutien à la sylviculture logiquement bien reçu par les grands acteurs locaux de la forêt privée, au premier rang desquels figurent les coopératives de gestion forestières (1). Comme l’exprime Benoît Rachez, directeur général de la coopérative Unisylva :
Nous avons monté 153 dossiers dans le cadre du plan de relance en Limousin. 560 hectares sont concernés. Le montant de la subvention pour Unisylva dans la région s’élève à 1,26 million d’euros. Cet argent est bienvenu. Il a servi au reboisement et à l’entretien des jeunes plantations.
Cette aide au renouvellement forestier serait d'autant plus importante qu'actuellement, poursuit Benoît Rachez, « 8 % des peuplements sont considérés comme dépérissants », car affaiblis par des parasites comme le scolyte (insecte ravageur qui s’attaque à l’épicéa) ou les sécheresses. « Il s’agit dans un même temps d’augmenter la captation de CO² par les arbres tout en favorisant la production de bois d’œuvre », ajoute le responsable de la coopérative.
Des coupes suivies de replantationsUn argumentaire “vert” qui ne séduit pas pour autant les collectifs de défense de l’environnement. Bien au contraire. En témoignent les positions de Canopée - l’une des principales associations françaises de protection de la forêt - sur le plan de relance.
Bruno Doucet, chargé de campagne pour Canopée estime qu’il est aujourd’hui difficile de définir précisément si une « forêt est vulnérable ou non au changement climatique ». Et pense que le discours mis en avant par l'État et les grands acteurs de la filière bois-forêt est un prétexte pour justifier de grandes opérations menées par les coopératives :
Celles-ci gèrent les forêts de propriétaires privés. Elles ont un intérêt économique à faire de grands travaux qu’elles facturent à leurs adhérents.
Des peuplements dits “pauvres”, sont ou ont aussi été éligibles au plan de relance (lire par ailleurs). « On considère alors que la forêt n’est pas assez rentable, productive », déplore Bruno Doucet. Autant d’éléments qui expliqueraient, pour lui et Canopée, le fait que les « projets financés via les différents volets du plan de relance sont à 88 % des plantations après coupes rases ». Et que ces parcelles soient ensuite souvent replantées « avec du Douglas en monoculture. » Ce qui équivaudrait pour l’association à faire passer les besoins de l’industrie devant la nécessité de préserver la biodiversité forestière (2).
Pas de risque d' "enrésinement" pour UnisylvaDe son côté, la Draaf confirme que le Douglas et les essences résineuses arrivent en tête parmi celles plantées en Limousin avec le concours du plan de relance (lire par ailleurs). Tout en précisant que « le mélange d’essences est une obligation pour toute surface plantée de plus de 10 hectares » dans le cadre du premier volet du plan et pour « toutes surfaces plantées de plus de 4 hectares » pour le dispositif France 2030.
Dans ce contexte, et face aux affirmations de Canopée, Benoît Rachez se veut quant à lui rassurant :
En 30 ans en Limousin, nous avons observé une diminution de 33.000 hectares des surfaces plantées de résineux. Ce qui représente 20 % de la surface forestière régionale. Il n’y a pas de risque d’enrésinement.
Le directeur d’Unisylva affirme par ailleurs qu’en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne, « seules 10 % des coupes sont des coupes d’amélioration dans lesquelles on va trouver des coupes rases. »
La majorité des arbres plantés avec le concours du plan de relance sont des résineux.
Un sentiment que ne partage pas Thibault Evain, membre du Syndicat de la Montagne limousine, fameux collectif d’habitants engagés dans la promotion d’alternatives écologiques et sociales à l’échelle locale. Depuis le lancement du plan de relance, cet ingénieur de formation dit ne plus reconnaître la forêt de Sornac et de ses environs, commune située au nord de la Corrèze, sur le plateau de Millevaches, secteur le plus boisé de la région :
Une centaine d’hectares ont été rasés en trois ans dans un rayon de 2 kilomètres autour de chez moi.
Monoculture contre forêt diversifiéeLe jeune homme nous mène sur une parcelle ayant fait l’objet d’une récente coupe/replantation. Nous nous engageons sur un chemin de terre bordé par de beaux hêtres. Puis, après avoir parcouru seulement une centaine de mètres, le paysage change brutalement. Un vaste espace ouvert de plusieurs hectares se présente à nous. Sur le sol, presque à nu, de jeunes pins Douglas ont été plantés en rangs serrés.
« L’endroit ressemblait à cela avant la coupe, explique Thibault Evain, en montrant les arbres qui encadrent la parcelle récemment récoltée et replantée. Nous avions une forêt diversifiée avec des bouleaux, des hêtres, des douglas, des chênes, des épicéas… ».
Des arbres dont certains “restes” gisent désormais dans les “andains”, longs monticules rectilignes composés de branches et de souches, qui guident le regard du promeneur vers les forêts, encore sur pied, au loin.
Thibault Evain près d'un andain composé de souches et de branches.
« Il aurait été mieux de ne pas dessoucher et laisser les branches au sol qui, par ailleurs, a complètement été labouré. Tout cela a pour effet de relâcher dans l’atmosphère le carbone stocké dans le sol », commente le militant qui potasse le sujet depuis plusieurs années. Et qui défend une sylviculture à essences mélangées et à couvert continu, c’est-à-dire reposant sur des coupes légères permettant de récolter régulièrement du bois, tout en préservant l’intégrité de la forêt.
En bordure du terrain, un panonceau attire notre attention. Celui-ci informe que des “travaux de renouvellement” financés par France relance ont été réalisés ici. « Aider la forêt à s’adapter au changement climatique pour mieux l’atténuer », lit-on également sur la pancarte. Un slogan à mettre en regard avec cette suggestion formulée par Thibault Evain :
Allouer une subvention au propriétaire pour laisser pousser les arbres déjà présents aurait été plus intéressant.
Entre objectifs économiques et impératifs écologiques, le débat sur l’orientation des fonds publics dévolus à la forêt est loin d’être tranché.
(1) Les coopératives de gestion forestière regroupent des propriétaires forestiers pour lesquels ils réalisent des actions d’entretien, de reboisement, mais aussi de récoltes et de ventes de bois. Ce modèle est particulièrement bien implanté en Limousin, où la forêt privée est morcelée entre d’innombrables propriétés de tailles très variables. Il est représenté localement par trois principaux opérateurs : Alliance Forêts Bois (AFB), Coopérative Forestière Bourgogne Limousin (CFBL) et Unisylva. (2) Originaire d’Amérique du nord, le pin Douglas est apprécié pour sa croissance rapide (il peut assurer une récolte de bois d’œuvre vers 50 et 70 ans), ses propriétés mécaniques et pour sa bonne résistance naturelle aux champignons et aux insectes xylophages.
Les chiffres du plan de relance "forêt" en Limousin
273 millions d’euros. C’est le montant des aides accordées par l’État en France dans le cadre de ses différents dispositifs de “renouvellement forestier”, à destination des forêts privées et domaniales, depuis 2020 (1). 13 millions d’euros ont été distribués en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne via le plan de relance de 2020. Le dépôt des dossiers s’est arrêté le 30 avril 2023. 3.400 hectares ont été concernés dans la région. « Les essences principalement plantées sont le Douglas (57 % de la surface), le mélèze (11 %) et le chêne (10 %). 86 % des surfaces ont été plantées avec des essences résineuses et 14 % avec des essences feuillues », informe Nicolas Lecœur, chef du service de la forêt et du bois au sein de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Nouvelle-Aquitaine. Par cet intermédiaire, « près de 45 millions de plants ont été plantés ou le seront cet automne », poursuit le fonctionnaire. Par ailleurs, 3 millions d’euros d’aides ont été distribués en Limousin via le volet “renouvellement forestier” du plan France 2030, depuis l’an dernier. 600 hectares sont concernés. Des aides qui doivent « soutenir la plantation de 8 millions de plants dans les années à venir », indique Nicolas Lecœur. Parmi les essences sélectionnées, le Douglas arrive encore en tête (48 % de la surface), suivi du chêne (14 %) et du pin Laricio (11 %). « 82 % des surfaces ont été plantées avec des essences résineuses et 18 % avec des essences feuillues », précise le représentant de la Draaf.
(1) L’ensemble des chiffres mentionnés ici nous ont été communiqués par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) de Nouvelle-Aquitaine.
« Ce sont essentiellement des peuplements feuillus, issues d’accrues, avec peu de “tiges d’avenir” (arbres qui pourront produire du bois de qualité) », dit-il. Il poursuit : « L’objectif du plan de relance est d’adapter la forêt au changement climatique en produisant plus de bois utilisable pour l’industrie en France. »
Textes : François Delotte
Photos : Bruno Barlier