Cet éleveur travaille 55 heures par semaine, 7 jours sur 7, toute l'année... pour gagner le Smic
Il est 6 h 30 quand le réveil de Richard Randanne sonne. Été comme hiver, sept jours sur sept, 52 semaines par an. L’éleveur de 55 ans « aime prendre son temps ». Déjeuner en regardant ses mails.
À 7 h 30, il foule l’exploitation. Il le ferait les yeux fermés. Il est le chef des lieux depuis 26 ans, mais y travaille depuis 40. Sa ferme, à Vernine, appartenait à ses parents. Ses grands-parents avant. Et « aussi loin qu’on se souvienne dans la famille ».
Trois heures pour réagir après la naissanceEn ce moment, les journées débutent avec l’agnelage. Repérer les brebis sur le point de mettre bas, ou qui l’ont fait pendant la nuit. L’urgence ? Regrouper mère et petit.
Il faut être là dans les trois premières heures pour assurer la reconnaissance olfactive. S’il y a plusieurs agneaux, ils peuvent être abandonnés.
Parce que Richard connaît ses bêtes, il recompose les familles aux airs de ressemblance. Sinon, direction les cages d’agnelage.
Avec un cheptel de près de 1.000 bêtes, tout cela entame bien la matinée. Place aux soins. Principalement alimentaires. « C’est aussi un moment privilégié pour voir si le troupeau va bien. » Surtout en période d’agnelage. Quinze jours après la naissance, les agneaux connaissent un « trou immunitaire ».
Pour repérer les agneaux malades, « il faut être réactif, ça demande un œil affûté et de passer du temps avec ses animaux ». Il faut ensuite les attraper, les traiter, les marquer et assurer le travail administratif obligatoire dans ce cas.
3.000 euros de vaccin pour rienAjouter à cela les vaccinations, assurées par les éleveurs eux-mêmes. « Contre le piétin, le vaccin m’a coûté 3.000 € et il n’a pas fonctionné à cause des conditions climatiques. » Ce matin, Richard doit donc soigner lui-même une trentaine de brebis. Traiter les pieds au sécateur, nettoyer, désinfecter.
Avant ou après sa pause méridienne (une heure), Richard empoigne sa canne. Pas un bâton de pèlerin, une canne qui dépose du poison dans les galeries des campagnols. Poison qui cible uniquement cette espèce qui pullule et détruit les prairies. Et crée des crises sanitaires. La présence de listéria dans le fromage par exemple.
Fin de journée à 20 heuresPassons rapidement sur l’après-midi consacré à l’exploitation. Réparer les clôtures, les engins, le matériel de fenaison à nettoyer… Quand Richard retourne chez lui, il est 20 heures. Et, après manger, il lui faudra ressortir. Inspecter son troupeau une dernière fois au cas où une brebis agnèle.Dans cet emploi du temps, encore faut-il caser les papiers. « Le soir, ou le matin si je dors mal. »
On travaille avec des bêtes donc l’administratif passe en second, sauf qu’aujourd’hui, on ne peut pas se le permettre. Les contrôles, l’exigence des cahiers des charges, la PAC, les subventions… Le modèle économique actuel de l’agriculture ne permet pas de vivre sans.
D’autant que tout se complexifie. L’administratif, bien sûr, mais tout. Jusqu’à la mécanique des engins. « L’intervention sur un tracteur, c’est 300 € juste en main-d’œuvre. Combien de jours travaillés pour payer ? »
« On pense être fort, mais… »Pendant plus de dix ans, Richard Randanne s’est versé un Smic. Aujourd’hui, « sur un rythme de croisière », avec des investissements remboursés, il affiche une rémunération annuelle d’environ 25.000 €. Un peu plus que le salaire moyen en France. Sauf que…
Sauf que Richard travaille 55 heures par semaine. L’éleveur a d’ailleurs fait réaliser une étude de son exploitation. « Il y a 1,8 unité de main-d’œuvre. » En d’autres termes, il travaille pour deux.
La charge de travail, Richard la connaissait. Les multicompétences aussi, c’est même ce qu’il aime dans ce métier. Mais les « contraintes et des contrôles sans droit à l’erreur » l’obligent à « augmenter la production », comme une usine qui accélère sa chaîne. Sauf qu’il s’agit de brebis ici, pas de pneus.
Et cette année est bien pire. La période creuse (15 août à début octobre) qui lui permet de prendre sa semaine de congé annuelle est devenue un cauchemar avec l’arrivée de la fièvre catarrhale. Depuis de longues semaines, les journées commencent par le ramassage des corps. En tout, une centaine. « On pense être fort, mais… »
Les week-ends, ce luxe qui fait envieFort, Richard l’est de moins en moins. Agriculteur est une profession d’un autre temps.
Avant les 35 heures, avant les semaines de quatre jours… Nous étions dans une société de travail, pas de loisirs. Aujourd'hui, on voit les copains qui ont plus de temps de famille, qui prennent des week-ends. Des vies qui séduisent.
Tous ces sacrifices valent-ils le coup ? Il pense à ses trois enfants et sa femme pour qui il a eu « une faible disponibilité ». Des enfants qui « n’envisagent pas de reprendre la ferme. Ils ont envie de vivre. Ils aspirent à des vacances, des loisirs ».
« Viabilité économique et vivabilité sont importants pour que demain, nous ayons des éleveurs en nombre, garants de la diversité et de la qualité des produits et de l’environnement. » Mais les décisions politiques ne vont pas en ce sens.
« Ils parlent de souveraineté alimentaire, mais vont nous sacrifier sur l’autel de la concurrence internationale. Les études montrent que 80 % des gens nous aiment. Mais ce n’est que de la littérature. »
Est-ce que Richard aime toujours son métier ? Silence. Un simple chant d’oiseau, beaucoup trop gai pour les yeux tristes de l’éleveur. « Cette année, je traverse un ras-le-bol, pour ne pas dire un burn-out. Sauf que je ne peux pas m’arrêter. »
David Chauve - Président de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme
Des actions sont prévues en France. Et localement ? Pour l’instant, il y a des priorités. En particulier avec les ovins et des cadavres à ramasser tous les matins. L’aide de 75 millions du gouvernement ira en priorité pour sérotype 3 alors que c’est plutôt le 8 qui frappe le Puy-de-Dôme. 6.000 bêtes sont mortes. Les récoltes, aussi, ont pris du retard avec les conditions humides.Comment se passent les discussions ?J’ai senti avec le Premier ministre que la situation n’est pas assez sereine, en particulier pour la fixation des prix agricoles. Il y a une loi aujourd’hui, la loi Egalim, qui n’est pas absolument pas respectée. L’avenir de l’agriculture est inquiétant. Nous sommes déficitaires en viande bovine. Nous allons vite le devenir pour le lait. Lactalis veut aller chercher du lait à l’étranger pour être compétitif et entrer sur le marché chinois. Et actuellement, la France ne pèse pas à Bruxelles. Forcément, au moment de la distribution des postes, nous étions en pleine dissolution. Aujourd’hui, un agriculteur a un amortissement à 20 ans, alors que c’est 5 ans pour l’industrie. Notre secteur est en décrochage complet sur le plan de la rentabilité.Et le Mercosur…J’ai vu en Amérique du Sud des fermes de 150.000 têtes qui n’ont jamais vu d’herbe et sont nourries aux hormones. On va être mis en concurrence avec ça ? Les gens n’imaginent pas ce que c’est.
Simon Antony