Mais qu'est-ce qui cloche au marché Saint-Pierre, à Clermont-Ferrand ?
Le ciel n’est pas encore tombé sur le toit du marché Saint-Pierre, mais il n’est visiblement pas loin. « On arrive à un stade où l’on n’est plus que 18 commerçants au lieu de 30, sans le moindre appel à candidature. On est en train de crever. » Remontée, Claire Mouly, membre du GIE du Marché Saint-Pierre lance un cri d’alarme. Faute d’attractivité, la halle gourmande clermontoise n’a plus rien de gourmande. Dans le collimateur de la commerçante qui dirige la Ronde des fromages : la municipalité. « Les élus se fichent de nous ! On n’a pas de réunion, pas d’animation, personne ne passe jamais. On ne répond pas à nos courriers, à nos demandes de rendez-vous. »
« On va faire comment à Noël ? »Ce « désordre administratif chaotique » se formalise sur le terrain. La climatisation est toujours en carafe. Le thermomètre a flirté avec les 37 °C cet été. « Les pompiers sont intervenus trois fois pour des malaises. Vous trouvez ça normal ? » Même incurie du côté des réfrigérateurs. « Cinq sur les seize mis à disposition sont hors d’usage. On est dans l’alimentaire bon sang ! On va faire comment à Noël ? »
Climatisation, parking, frigos défaillants, fuites d’eau, la colère est vive à tous les étages, comme ici en sous-sol.Une colère partagée par ses voisins. Bernard Durin, volailler, dénonce une « organisation et une gestion totalement archaïques ». Lui, qui a vendu sa boucherie rue des Gras pour venir s’installer sous la halle, a découvert une comptabilité digne « du siècle dernier ». « Les factures sont écrites à la main, il n’y a pas de prélèvement. Des fois, j’ai deux chèques débités d’un coup. Là, on a eu un rappel de charges pour 2021-2022 ! Vous voyez le niveau de gestion ? Il n’y a aucun justificatif ».Et le mal ne s’arrête pas là pour le commerçant.
« Quand je me suis installé j’ai signé une convention de sept ans. Aujourd’hui, c’est un an ou rien, certains n’ont même pas de contrat d’occupation et ne payent même pas les factures. »
Tout aussi agacé, cet autre éleveur pointe l’absence de sanitaires, le délabrement du parking dont plusieurs places ont été condamnées, les fuites d’eau sur les étals ou encore le nettoyage très sommaire. « On parle quand même d’un marché municipal qui appartient aux Clermontois ! Si vraiment ça n’intéresse pas les élus, qu’ils passent le relais à des professionnels ! »Installé depuis 1987, Xavier Cluzel, charcutier traiteur est l’un des plus anciens commerçants du marché. Avec sagesse, le Clermontois évoque les difficultés, sans jamais perdre de vue son objectif : avancer !
Les plus motivés restent sur leur faim« On l’aime notre marché. On travaille bien. On a une clientèle fidèle », sourit celui qui a posé ses saucisses il y a plus de 37 ans dans l’antre du marché Saint-Pierre. Une déclaration d’amour qui n’empêche pas le commerçant d’évoquer les failles de son outil de travail. Des dysfonctionnements qu’il a pu évoquer avec le maire avant l’été. Avec en premier lieu, « une communication catastrophique. On souhaitait rénover notre boutique comme on a pu le faire à Nantes et Mérignac mais avec des conventions d’un an, on n’a pas de visibilité pour investir. »Il pointe le règlement intérieur : « Il faut savoir comment on accueille les nouveaux venus. Certains viennent un jour par semaine… et le reste de la semaine, c’est vide. À Nantes, la mairie impose quatre jours par semaine sous peine d’amende. C’est clair et net, le cadre est là ».S’il entend la fronde de certains commerçants, Xavier Cluzel aimerait qu’elle s’accompagne de propositions concrètes.
« On a un GIE qui ne fait pas grand-chose, faute de budget. Il faudrait récréer une association de commerçants et que tout le monde fasse un effort pour s’entendre… »
Présent sur le marché de Nantes dimanche, le charcutier veut croire à une embellie clermontoise. « L’affluence est folle à Nantes, j’aimerais voir la même chose ici. C’est d’autant plus frustrant que la clientèle est là. Tout le monde doit jouer le jeu des ouvertures. Quand vous avez trois commerçants le lundi, les gens se détournent… »
Dans la même veine, Jean-François Paner, directeur du Domaine de la Limagne, préfère voir le verre à moitié plein. « C’est vrai qu’il manque une dynamique, que le parking est compliqué mais il ne faut pas que les commerçants se fassent eux-mêmes du tort ! », insiste le spécialiste du foie gras local. « J’ai ma clientèle fidèle, le loyer est correct. Après, c’est sûr qu’accepter que des commerces n’ouvrent qu’un jour par semaine, ça fait plus de mal que de bien ».S’il rêve que « le marché soit la fierté de la ville comme à Lyon ou Bayonne, un endroit où l’on peut venir déjeuner et emmener les amis que l’on reçoit », Jean-François Paner l’admet, « ce n’est pas le cas à Clermont ».
Carole Eon
(*) L’histoire de la halle a commencé en 1873 avec une structure métallique (type pavillon Baltard). Rebâtie en béton dans les années 30, la halle était finalement rayée de la carte en 1985 pour laisser place à un ensemble compact avec parking souterrain incorporé.