"Clickbait" sur Netflix : une petite merveille d’atrocités psychologico-policières

En anglais Clickbait, c’est le titre de la série de huit épisodes créée par Tony Ayres et Christian White, diffusée depuis peu par Netflix. Le principe est d’une violence extrême : on diffuse la vidéo montrant Nick Brewer, interprété par Adrien Grenier, attaché à une chaise, et contraint de présenter deux écriteaux écrits par lui-même : "Je suis un abuseur de femmes" et "J’ai tué une femme". Le message étant que l’abuseur kidnappé sera exécuté quand la vidéo aura atteint 5 millions de vues. Aussitôt mise en ligne, la vidéo circule à la vitesse de la poudre enflammée, chaque internaute participant ainsi à une sorte de vote électronique en faveur du châtiment suprême. Est-ce que c’est démocratique ? La question n’est pas le sujet central de la série. Il y a d’autres urgences, notamment l’effet que cette vidéo produit sur la famille de Nick Brewer, professeur d’éducation physique bien sous tous rapports, père de trois enfants, respecté par tous dans son travail. Il est un peu en bisbille avec sa petite sœur, mais quelle famille est sans problème, je vous le demande. L’autre urgence est policière : comment trouver le, la ou les salopards qui ont kidnappé et qui menacent de mort ce bon Nick dont on se dit qu’il a quand même dû faire quelque chose de pas clair.

Intuition confirmée par une succession de révélations qui nous tiennent en haleine pendant les quatre premiers épisodes se terminant, comme il se doit, par un coup de théâtre qui donne envie d’en reprendre une dose. Je n’ai pas encore regardé les quatre derniers, alors que j’en meurs d’envie, mais je veux rester sincère dans ce compte rendu partial et partiel et ne pas spoiler cette petite merveille d’atrocités psychologico-policières.

Clickbait est un peu la fiction du non moins merveilleux documentaire de Sonia Kronlund, L’Homme aux mille visages, dont je vous ai parlé ici même il y a quinze jours. On pourrait d’ailleurs établir un tableau circonstancié de ce qui différencie la réalité de la fiction. Si tant est qu’un documentaire puisse être considéré comme "la réalité". En effet, le Ricardo de Sonia Kronlund et le Nick de Clickbait sont tous les deux des menteurs de génie parvenant à mystifier des femmes étrangement crédules. Mari idéal, amant parfait, père irréprochable et collègue super cool, ils le sont aussi dans cette accumulation de clichés sociaux dont on s’étonne qu’elle n’ait pas mis la puce à l’oreille de leurs victimes.

D’une certaine manière, Sonia Kronlund et les femmes de Ricardo se sont fait berner par les mêmes miroirs aux alouettes dont les scénaristes se servent pour séduire les spectateurs.

Dans Clickbait, l’inspecteur a un intérêt personnel à traiter cette affaire, et ça n’est pas seulement parce qu’il a eu une relation avec la sœur de Nick Brewer. De la même façon, Sonia Kronlund nous a confié au départ de son film qu’elle-même s’était fait avoir par des mythomanes. C’est donc bien un règlement de compte que réalisent la journaliste du documentaire et l’inspecteur de la fiction. Plus subtil et carrément subliminal, le spectateur ne peut ignorer qu’Adrien Grenier, l’interprète de Nick Brewer, n’est pas seulement la vedette de la série culte Entourage. Cet ex-futur John Travolta fut aussi, sa grande époque, un collectionneur d’aventures amoureuses avec des célébrités genre Paris Hilton. Ainsi, dès la première apparition du carton "Je suis un abuseur", le verrou qui séparait la fiction de la réalité explose.

Enfin, je ne vous dirai pas si le, la ou les ravisseurs de Nick Brewer mettent leur menace à exécution une fois franchie la barre des 5 millions de clicks. Pas plus que Sonia Kronlund ne nous dit ce qu’il est advenu de son Ricardo aux mille visages après la diffusion du documentaire. Fiction, réalité, chaque fois que je suis la piste d’une différence, je tombe sur une similitude. Le plus agaçant étant que l’inverse est tout aussi vrai.

Christophe Donner, écrivain.