Enquête : La bosse du sport, innée ou acquise ?
Devient-on championne grâce à sa bonne étoile ou un travail acharné ? Comment ces étoiles montantes arrivent-elles un jour dans les quotas olympiques ? Injustice, jeu des gênes… et si c’était la « bosse du sport » ? Témoignages de sportives passionnées… de la première heure ! Une enquête comme un billet d’intention avec partis-pris et chemins de traverse.
Par Léa Borie, Extrait de Women Sports magazine n°32 avril-mai-juin 2024 spécial Paris 2024 dernière ligne droite
« Plus tard je serai une championne ! », martelait à ses parents Hélène Defrance, médaillée de bronze en voile olympique à Rio en 2016, alors qu’elle n’avait pas de sport de prédilection et juste un attrait pour la pratique sportive. Quand on récolte les témoignages de sportives de haut niveau adultes, il n’est pas rare que toutes jeunes déjà, elles se rêvaient sur la plus haute marche du podium olympique, comme c’est le cas pour Cyrielle Duhamel, nageuse française motivée dès toute petite à participer à la plus grande compétition du monde…
Il y a deux écoles pour expliquer ça, celle qui consiste à dire qu’un enfant est né pour ça, et l’autre qui assure qu’à force de travail, de répétition du geste, ça viendra. Or, et les parents qui nous lisent le savent bien, derrière leur caméscope les dimanches de compétition : une enfant qui fait de la gym depuis plus de 5 ans et qui tente une roulade pour finir coincée sur le dos telle une tortue, a peu de chance dans une décennie d’enchaîner un salto sur la poutre « à la Simone Biles ». D’autres arriveront, le jour de l’essai au forum des associations, et taperont une roue d’une symétrie et d’une stabilité parfaite comme première tentative. Injuste ? on va voir ça.
Ça se bosse ! ce qu’on peut travailler
Parfois, en voyant des athlètes depuis son poste TV sur son canap’, on se dit « la chance ». Certaines vous répondront que c’est du travail, un travail du geste acharné pour gagner chaque millimètre à la sueur de leur front, au profit de tout le reste. Malcolm Gladwell dans Outliers évoque la règle insufflée par K. Anders Ericsson basée sur le nombre d’heures nécessaires pour devenir violoniste concertiste. Il estime qu’il faut accumuler 10 000 heures de pratique pour devenir expert. Cette pensée rappelle le rêve américain qui soutient que chacun peut devenir qui il veut à force de travail et de détermination.
En parlant de musique, Lisa Barbelin, archère présélectionnée pour les JO de Paris 2024, fait le rapprochement avec un autre instrument : « Il y a sans doute un lien avec le piano, qui m’a aidée à être à l’aise dans cette discipline, raconte-t-elle avant de compléter, je n’aime pas dire que je suis talentueuse. Ce sont des milliards de flèches, des centaines d’heures de travail, de préparation mentale, de yoga, des litres de larmes… » Elle insiste même : « Mon sport ne demande pas de prédisposition. Je porte même des lunettes car mes yeux fatiguent vite. Tout est possible ! »
L’inné : la mayonnaise prend tout de suite
En analysant les biographies de sprinters olympiques, Michael Lombardo et Robert Deaner, respectivement biologiste et psychologue, ont noté notamment que Wilma Rudolph (JO 1960) et Evelyn Ashford (JO 1984) avaient eu des résultats exceptionnels dès le début de leur carrière, sans cumuler plus d’entraînement que leurs pairs. L’entraînement volontaire est une pièce du puzzle, importante bien sûr, mais n’est pas tout.
Il se peut même que vous lanciez 10 000 fois ce disque sans avoir l’âme de Mélina Robert-Michon… Alors posez ça tout de suite et venez boire un verre d’eau. Poursuivons. On pourrait ainsi évoluer vers l’idée que la pratique, même intensive, a ses limites pour atteindre l’élite. Ça viendrait d’ailleurs ?
Cela fait longtemps que des tests anthropométriques sont parvenus à apprécier précocement les qualités sportives – taille, poids, ratio masse grasse/maigre… Au milieu du XXe, on recherche de petits gabarits pour la gym, des plus grands formats puissants pour le basket… On ne parle pas ici de bosse du foot ou du ping-pong, mais plus d’aptitudes globales : coordination, réflexes, puissance cardiaque. Par contre, une personne dotée de ces prédispositions n’atteindra jamais l’excellence si elle ne travaille pas d’arrache-pied. On pourrait ainsi avancer que le talent athlétique serait un mélange d’une combinaison idéale des gènes et d’acquis grâce à l’entraînement, dans un environnement favorable.
Cet environnement justement, c’est aussi la famille. Celle de Lisa Barbelin l’a portée : « Le sport a toujours été présent dans ma famille. Mes proches ont cru en moi. Moi aussi bien sûr mais ils ont renforcé cette idée. J’ai une famille tête de bois qui n’abandonne jamais. C’est presque une doctrine familiale ! ». Tout ça sans omettre que, probablement, la part d’aptitudes physiques n’est pas nécessairement présente au même degré selon les sports.
Si on veut on peut : la question du mental
Dans le domaine du sport de haut niveau, la performance est dépendante du potentiel mental. C’est avec cet état d’esprit que Carole Cormenier, tireuse spécialisée en fosse olympique, se prépare pour la sélection olympique en vue des JO de Paris : « Je fais tout comme si j’étais qualifiée. Avec ce quota, il n’y a pas d’autres filles derrière qui peuvent me doubler… » C’est comme ça qu’aujourd’hui, la tireuse va jusqu’au bout des choses : « Je n’ai pas confiance en moi, mais quand j’arrive sur un pas de tir, inconsciemment je change. Je ne me pose pas de question, je fonce ! » Ce mental, Carole se l’est construit.
« Ça se travaille. J’ai aussi eu un suivi de psychologie du sport pour gérer la pression. Au début, j’avais un sale caractère mais j’ai appris la maîtrise de soi dans un sport de patience ». Certaines se sentent câblées pour ça. Lisa Barbelin évoque quant à elle son côté audacieuse : « Ce qui est inné chez moi, c’est l’audace. J’ai réussi grâce à cette facette-là. C’est ma recette magique qui m’a propulsée, mais je ne dis pas qu’elle est nécessaire à tout le monde ».
Saisir toutes les opportunités : bouscule ton destin !
Pour autant, ça ne se fait pas par magie. Je reste persuadée que c’est l’histoire d’une rencontre entre une personne et un sport. Si on s’amuse à changer le sport de certaines championnes, on peut être sûr qu’elles ne seront pas aussi performantes. Je ne miserais pas mon salaire au hasard sur un passage en dos crawlé de Megan Rapinoe ou d’Amélie Mauresmo en BMX freestyle.
Je crois aussi que les gènes ne déterminent pas le destin : il faut saisir les opportunités. Parfois malheureuses comme celle de Carole Cormenier : « J’ai perdu ma maman à 14 ans. Mon père était effondré. Il a repris le tir pour se changer les idées. J’ai fini par le suivre ». Une opportunité liée parfois à l’environnement, comme l’explique Lisa Barbelin : « J’avais peu de femmes dans ma catégorie : c’était plus facile de se faire une place ».
Il faut que ça plaise aussi. Comme en amour, peut-être est-ce une histoire d’alchimie entre son sport et soi. « Au départ, j’ai joué 8 ans au foot, mais je ne voulais pas jouer avec les filles, explique Carole Cormenier. Mon père m’a proposé le tir. Au départ je n’avais pas envie. Je lui ai rétorqué ‘‘J’essaie une fois et tu me fous la paix !’’ Et ça m’a plu. Mon père s’est empressé de m’acheter un fusil, j’ai tout de suite commencé à casser des plateaux ! ».
Démarrer jeune : Ça commence au biberon
Elles ont été biberonnées au sport. Sandie Toletti, joueuse gardoise de football internationale, a commencé à 5 ans. Shirine Boukli a démarré un an avant encore le judo… Dès leur plus jeune âge, ces élites ont appris les valeurs du sport. Lisa Barbelin se souvient des conseils de son entraîneur de l’époque, Jacques Rousseau : « Je me faisais beaucoup battre petite. Il me répétait que ce n’était pas grave en minime, et qu’il valait mieux gagner plus tard. » Et le plus tard c’est maintenant !