La série « Friends » boycottée, Tintin et Astérix jetés aux flammes au nom des minorités
« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes » prophétisait l’écrivain allemand Heinrich Heine en 1817.
Au Canada, dans l’Ontario, 5.000 livres jeunesse ont été réduits en cendres – dont « Tintin en Amérique », « Astérix et les Indiens » et trois albums de Lucky Luke – tous jugés « impurs » par un « tribunal » d’écoles catholiques francophones prônant la réconciliation avec les nations autochtones. « Les cendres ont servi comme engrais pour planter un arbre et ainsi tourner du négatif en positif », relate le site de Radio Canada.
En Angleterre, 14 musiciens de l’English Touring Opera viennent d’être licenciés parce qu’ils sont Blancs. Ceci afin de « prioriser la diversité » assume la direction.
Culture de l’éliminationBienvenue dans le monde de la « cancel culture », culture de l’élimination, de l’ostracisation, du bannissement. Au choix. Un phénomène, un de plus, venu des Amériques, où il est question de défendre des idéaux – ou serait-ce une idéologie ? – en boycottant voire en réduisant au silence les opinions et les faits considérés comme « illégitimes ».
Au seul motif que la cause – les minorités – est juste, ces nouveaux parangons de vertu, convaincus de combattre dans le camp du bien, s’érigent tantôt en censeur, tantôt en procureur, tantôt en justicier.
Comme au bon vieux temps du western avec les affiches « Wanted », appelant à la dénonciation, la « cancel culture » a trouvé son Eldorado pour se diffuser : les réseaux sociaux. Twitter semble être, aujourd’hui, la caisse de résonance de ce courant qui se propage comme une traînée de poudre.
J.K Rowling dans l'oeil du cycloneUn artiste est soupçonné d’agression sexuelle ? Il est « canceled ». Peu importe qu’un tribunal ait rendu son verdict ou non, la justice populaire a tranché.
J. K. Rowling, autrice de la saga « Harry Potter », sous-entend dans un tweet que les femmes transgenres ne sont pas des femmes ? Un tweet jugé transphobe sur les réseaux sociaux où les appels à boycotter ses livres se multiplient.
C’est ce qu’on appelle aussi être « call out ». Cette pratique est répandue à la vitesse de la lumière par la nuée des « woke » – traduisez « éveillés » – ultraconnectés et militant pour un monde inclusif.
La série culte « Friends », qui a emballé les « teenagers » dans les années 1990, n’y échappe pas. Elle est aujourd’hui taxée par la galaxie « éveillée » de grossophobie, transphobie et trop blanche.
«Autant en emporte le vent » dans la tourmenteFace à la popularisation de la dénonciation sur Internet, l'oscarisé « Autant en emporte le vent » a été supprimé temporairement de HBO Max. Mais les dirigeants de la plateforme ont eu l’intelligence de considérer que ce film, aujourd’hui estimé raciste et réducteur par une nouvelle génération, doit être visionné avec une mention du contexte social et politique dans lequel il a été produit.
« Les réseaux sociaux, c’est l’endroit où le feu est allumé. Mais la cancel culture gagne aisément le monde réel », constate Yannick Chatelain, enseignant chercheur à l’École de management de Grenoble et observateur attentif des réseaux.
Il suffit d’un noyau de militants pour que la cause qu’ils défendent sur les réseaux s’impose comme un sujet de société majeur et mondial. Encore plus si elle est relayée par les médias traditionnels.
La France où la présomption d’innocence est mieux garantie qu’aux États-Unis peut-elle contrecarrer les excès venus d’outre-Atlantique ? Et le fait que la liberté d’expression soit encadrée par la loi, et non un droit fondamental positif comme en Amérique, peut-il être un autre rempart ?
Yannick Chatelain n’en est pas sûr : « Certes, nous ne sommes pas aux États-Unis où un habitant débarquant dans un quartier peut voir sa vie passée au crible et tout son passif s’afficher sur les murs. Mais dans les premiers mois de la pandémie, en France, on a bel et bien assisté à une entreprise de délation visant des soignants et réclamant qu’ils déménagent. La cancel culture a fait son miel à l’occasion de cette crise. »
Déboulonner des statuesDepuis un ou deux ans, les musées américains sont régulièrement attaqués et des directions contraintes à jeter l’éponge face à des hordes de militants voulant déboulonner des statues et décrocher des toiles au nom d’une histoire qui ne leur convient pas.En France, juste avant la pandémie, « Le modèle noir, de Géricault à Matisse », au Musée d’Orsay, avait affronté les fantômes et les ombres au tableau. « Cette exposition se penche sur des problématiques esthétiques, politiques, sociales et raciales ainsi que sur l’imaginaire que révèle la représentation des figures noires dans les arts visuels, de l’abolition de l’esclavage en France (1794) à nos jours. » Le pari était risqué. Il a captivé 500.000 visiteurs.
Nathalie Van Praagh