Guerre du saucisson nitrité : le tribunal de commerce de Brive condamne Yuka pour "dénigrement"
Pourquoi Yuka s'est retrouvée devant le tribunal de commerce de Brive ?
Si Yuka s'est retrouvée devant le tribunal de commerce de Brive, c'est parce que c'est une société corrézienne qui l'attaque en justice. L'entreprise Le Mont de la Coste, basée à Ussel, accuse Yuka de "pratique commerciale déloyale et pratique commerciale trompeuse par action et par omission, concurrence déloyale par dénigrement de produits et d'appel au boycott".
En clair, l'entreprise reproche à l'application de dénigrer ses produits, en les accusant d'être cancérigènes du fait de la présence de sels nitrités dans ses saucissons.
Yuka c'est quoi ? C'est la société éditrice SAS Yuka, qui a conçu et diffuse l'application mobile du même nom, qui était dans le collimateur de l'entreprise corrézienne Le Mont de la Coste.L'application Yuka permet, en scannant le code-barre d'un produit (alimentaire ou cosmétique), d'en connaître la composition. L'application délivre également une appréciation à ce produit.A lire aussi : Yuka, Kwalito, Open Food Facts ou Y’a quoi dedans… Les applis mobiles pour mieux consommer séduisent
Qu'a décidé le tribunal ?Pour le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde, Yuka s'est rendue coupable de "pratiques commerciales déloyales et trompeuses" et d'avoir "commis des actes de dénigrement". Le jugement précise notamment que "Yuka n'a pas fait preuve de mesure dans l'expression des informations qu'elle a délivré au consommateur".
Le tribunal condamne donc Yuka à supprimer l'appréciation "risque élevé" attribuée aux additifs E250 (nitrite de sodium) et E252 (nitrate de potassium), ainsi que "toute mention précisant que ces additifs seraient cancérogènes". Le tribunal condamne également Yuka à remplacer cette mention par " la position de l'EFSA (*) suivante : Les nitrosamines qui se forment dans l'organisme à partir de nitrites ajoutés dans des produits à base de viande aux niveaux autorisés sont peu préoccupantes pour la santé humaine". Un avis officiel qui date de 2017.
Le tribunal interdit également à Yuka de faire le lien entre les fiches des produits de charcuterie et la pétition visant l'interdiction des nitrites dans les produits alimentaires.
Côté finances, Yuka est condamnée à verser 20.000 euros au Mont de La Coste au titre du préjudice moral (le plaignant en demandait 580.000 et évaluait son préjudice financier à 430.000 euros), ainsi que 10.000 euros pour frais de justice.
En revanche, le tribunal a débouté le charcutier industriel de plusieurs de ses demandes. Le jugement ne condamne pas Yuka à supprimer la couleur rouge et le qualificatif "mauvais" attribués aux saucissons secs Auvernou ; ni à supprimer le classement des additifs E 250 et E 252 parmi les défauts ; ni à réviser son système de notation (les saucissons Auvernou perdent automatiquement 30% de leur note sur Yuka parce qu'ils contiennent des additifs nitrités). Le tribunal estime que ces demandes restreignaient "de façon disproportionnée" la liberté d'expression.
(*) European food safety authority, l'autorité de sécurité alimentaire européenne.
Qu'en pense Yuca ?« On est vraiment sur des procédures baillons, dénonce Julie Chapon, directrice et cofondatrice de Yuka. A Paris, à Aix et à Brive, les dossiers sont des copier-coller, ce sont les mêmes avocats… L’objectif est de nous épuiser moralement et financièrement. »
Si les actions devant les tribunaux de commerce des charcutiers industriels ne mettent pas en péril l’existence de Yuka, elles la « fragilisent. On était à l’équilibre depuis un an et demi et avec tous les frais d’avocats, on est obligé de piocher dans la trésorerie tous les mois… Mais nous avons reçu beaucoup de messages de soutien et nous avons lancé il y a deux heures une cagnotte en ligne. »
Julie Chapon rappelle aussi que les obligations formulées par le tribunal de commerce de Brive sont en réalité déjà appliquées : « on a déjà modifié et remplacé « risque élevé » par « à éviter », le lien vers la pétition a déjà été enlevée…. La note de ces produits ne change pas sur Yuka ! »
Comme pour les procédures en cours à Paris et à Aix-en-Propvence, Yuka va « faire appel, bien sûr. Mais, stratégiquement, on attend le dernier moment, ça nous laisse plus de temps pour préparer le dossier. »
Les responsables de Yuka veulent notamment contester le fait que l’affaire est jugée devant un tribunal de commerce : « est-ce que c’est normal que ce qui touche à la santé des consommateurs soit jugé par des commerçants et des chefs d’entreprise ? »
Qu'en disent les charcutiers ?L'avocate de l'entreprise corrézienne se déclare, ce vendredi 24 septembre, "très satisfaite de la décision" du tribunal de Brive.
C'est une victoire sur l'essentiel de nos demandes. Ce qui nous importait, c'était que le tribunal reconnaisse que Yuka a trompé le consommateur. On n'a rien contre Yuka. On leur demande simplement d'arrêter de dire que les nitrites sont cancérogènes.
Après Paris et Aix-en-Provence, c'est une troisième bataille perdue par Yuka face aux charcutiers.
Pomme Labrousse