A Moulins (Allier), une plongée au coeur des mystères du pont Mansart
Les vestiges monumentaux du pont Mansart. L’an dernier, c’est cette découverte exceptionnelle qui a été réalisée en marge des travaux de reconstruction de la passe à poissons située au niveau du pont Régemortes (voir nos éditions précédentes). Les investigations, qui ont débuté en octobre 2021, ont très vite mis à jour les décombres de cet ouvrage de franchissement ordonné par Louis XIV à la fin de son règne.
Construit à partir de 1705, le pont Mansart connaîtra un funeste destin. En 1710, il sera emporté par une grande crue de l’Allier sans avoir été achevé. Complètement réduit en miettes par la puissance phénoménale de la rivière… Comme beaucoup d’autres ponts avant lui. Une malédiction. Mais une malédiction dont les causes sont parfaitement rationnelles.
Mansart à la rescousse
Historiquement, l’évolution rapide de la morphologie de la rivière et de son tracé, l’instabilité de ses rives et le caractère extrêmement changeant de son débit ont induit, dès les périodes protohistorique et antique, des problèmes majeurs dans la construction de franchissements pérennes sur la rivière. Il faut attendre jusqu’au XVe siècle pour que le cours de l’Allier se fixe. Mais la période du petit âge glaciaire (à partir du XIVe siècle) provoquera cependant de très nombreuses crues, puissantes, à fréquences rapides, entraînant des phénomènes de courants et de contre-courants dangereux pour la construction de tout franchissement.
En 1704, c’est suite à l’édification de plus d’une dizaine de ponts et à leur effondrement systématique que le Roi-Soleil ordonne à Jules Hardouin-Mansart d’édifier un énième ouvrage à Moulins : le pont Mansart. L’éminent architecte, connu notamment pour avoir conçu le pont Royal à Paris, dessinera les plans de l’édifice bourbonnais. Mais a t-il également supervisé lui-même la construction de cet ouvrage d’une importance capitale pour la ville ? « Il est peut-être venu sur place pour établir un suivi du chantier, mais il n’existe aucune source écrite pour le confirmer », raconte Jean-Baptiste Kowalski.
Jean-Baptiste Kowalski, responsable d'opérations au SAPDA En revanche, le responsable d’opérations au Service d’archéologie préventive du Département de l’Allier (SAPDA) souligne que d’inestimables renseignements d’époque consacrés au pont Mansart ont été retrouvés aux Archives nationales et aux Archives départementales de l’Allier. Cartes du XVIIIe siècle, plans, schémas, lettres et comptes ont ainsi permis aux archéologues de documenter sa phase de construction. Bref, du pain béni pour les chercheurs du SAPDA qui ont été chargés d’étudier la mise en œuvre et le phasage d’édification du pont Mansart. Puis, via une observation de ses structures effondrées, piles et voûtes notamment, de comprendre les conditions de son anéantissement.
Un pont trop massif emporté par la rivièreOutre des éléments de charpente du pont, c’est également des éléments d’échafaudages utilisés pour sa construction qui ont été retrouvés lors des fouilles. Ces découvertes n’ont pas trop souffert des outrages du temps. Leur immersion dans l’eau leur a permis d’arriver jusqu’au XXIe siècle dans un bon état de conservation : « Grâce à ces vestiges, c’est l’économie des chantiers du XVIIIe siècle et les techniques de mise en œuvre des travaux comme on les accomplissait à cette époque que nous allons pouvoir interroger », souligne Jean-Baptiste Kowalski.
Mais une question se pose, s’impose… Comment un pont imaginé par un architecte aussi brillant et expérimenté que Jules Hardouin-Mansart a-t-il pu être emporté tel un vulgaire fétu de paille ? La réponse est simple. Aussi talentueux soit-il, Mansart a commis une erreur fatale : « Il a conçu un pont trop massif, explique Jean-Baptiste Kowalski. Et il s’est effondré parce qu’il reposait sur du sable d’une profondeur de onze mètres, alors que les pieux qui le soutenaient ne faisaient que cinq mètres ».
En 1750, Louis de Régemortes, ingénieur des levées de la Loire, tirera les leçons de cet échec cuisant pour construire un nouveau pont. Le fameux pont Régemortes… Qui a résisté jusqu’à nos jours à toutes les crues. Croisons les doigts.