Que reste-t-il des tramways des campagnes qui circulaient en Corrèze, il y a cent ans ?
Des petits bâtiments de bois avec un drôle d’auvent arrondi, un tunnel sauvé de l’oubli, des maisons à l’allure particulière en bordure d’étroites départementales, des cafés de la gare dans des villages qui n’en ont plus… Dans le Midi corrézien, il ne reste plus grand-chose du tramway qui reliait Aubazine à Beaulieu, Turenne et Beynat. Et pourtant. Il y a cent ans, le département de la Corrèze était sillonné de rails. En plus de l’axe majeur Paris-Toulouse, des voies principales POC (celles qui passaient à Uzerche, à Argentat…), trois lignes de tramway désenclavaient les campagnes.
De quoi parle-t-on ?La gare de Soursac.De la Rivière-de-Mansac à Juillac. La ligne est longue de presque 27 km. Les travaux se terminent en février 1912, elle sera exploitée dès le 25 mars 1912 pour les voyageurs, les marchandises attendront le 1er avril. Elle fermera le 1er janvier 1932 et la ligne sera déclassée à l’été 1934.D’Aubazine à Beaulieu. Elle compte trois sections : de Turenne à Beaulieu (presque 34 km), d’Aubazine au Bosplos (23 km) et l’embranchement du Moulin du Faure à Beynat (2,2 km). La première mise en service se déroule en décembre 1912, mais Beynat attendra 1921 pour voir le tramway. L’année 1932 signera aussi sa fermeture, et l’année 1934 son déclassement.D’Ussel à Tulle. Ce fut la plus longue, tant en kilomètres (105) qu’en longévité : elle fonctionna d’août 1912 au 1er janvier 1960. Cette ligne, que l’on appelle le Transcorrézien, était composée de cinq sections : Ussel-Neuvic (la première à ouvrir), Neuvic-Soursac, Lapleau-Tulle, l’embranchement du Mortier à La Roche-Canillac (fermé en 1938, déclassé en 1940) et Lapleau-Soursac. L’essai en charge du viaduc des Rochers noirs se déroula le 8 mai 1913.
La mémoire du Trancorrézien bien entretenueLa mémoire de ce « tacot » est bien entretenue du côté du Transcorrézien, qui reliait Ussel à Tulle, plus connu que les deux autres lignes à voie métrique qui parcouraient les campagnes, transportant marchandises et voyageurs à un rythme de sénateur.
Il faut dire que les deux plus petites lignes, Aubazine-Beaulieu et Juillac-La Rivière-de-Mansac, n’ont pas fonctionné longtemps. Deux décennies seulement. Quand, le 31 décembre 1959, le Transcorrézien effectue son dernier voyage entre Tulle et Neuvic (la section Neuvic-Ussel avait fermé dès 1952), les deux autres sont déjà à l’arrêt depuis presque trente ans. Le tramway pesait trop lourd dans les finances départementales (*).
(*) Le département de la Corrèze était depuis 1925 propriétaire du réseau de la compagnie des tramways départementaux de la Corrèze (TDC), fondée en 1908, pour désenclaver les campagnes.
À Ayen, l’ancienne gare (de première classe, s’il vous plaît) est toujours là. Un panneau qui renvoie vers une vidéo en ligne racontent ce petit train des campagnes, les bergères du pays qui lançaient des cerises au conducteur…
Tickets et fiches horaires dénichés dans la poussièreDans son remarquable ouvrage Les tramways de la Corrèze, Jean-Paul Toulzat, disparu depuis, liste toutes les péripéties qui ont conduit la Corrèze à se doter de ces liaisons ferroviaires, puis à les abandonner.
Sa connaissance fine de ce réseau de transport est en partie due au hasard. Un jour, visitant par curiosité le dépôt du Bosplos, lui dont la grand-mère travaillait à la gare à Puy-d’Arnac, Jean-Paul Toulzat tombe sur de vieux papiers. Tickets, fiches horaires, registres comptables… C’est toute l’histoire du tramway qui prend la poussière. « Il les a triés, dépoussiérés, repassés, classés », se souvient son épouse, Andrée dite Dédée, qui fut sa fervente relectrice. Les archives départementales, où il a puisé aussi de nombreuses informations, conservent désormais ces pièces historiques.
De 5 heures du matin à 11 heures du soirOn y apprend que les travaux ne se font pas toujours dans la concorde : il y a plus de cent ans, à Meyssac, le préfet ordonne l'abattage et l'élagage des arbres situés en bordure des chemins vicinaux, qui doivent être empruntés par la ligne Turenne-Beaulieu. Le conseil municipal de Meyssac s’indigne et sauvera une partie des platanes, sur la route qui mène à La Fourcherie.
En 1912, on pouvait croiser le tramway dans la rue principale de Meyssac huit fois par jour, dès 5 heures du matin et jusqu’à 23 h 10. En plus des voyageurs, du bois, des colis postaux, mais également une foule de marchandises transitent par ces rails étroits : en 1928, les tramways transportent 8,5 tonnes de petits pois et 4,1 tonnes de champignons. Comme le tramway est en système métrique, contrairement aux trains, c’est toute une histoire de transborder les marchandises d’un réseau à l’autre…L'ancienne gare de Chirac-Bellevue et son wagon-grue.
Retards et déraillements en pagailleLes journaux locaux se font l’écho des retards, des accidents de circulation qui s’accumulent au démarrage de l’exploitation. En 1913, il déraille ainsi quatre fois en deux kilomètres ! Le 1er avril 1913 (ce n’est pas une plaisanterie), le premier convoi de marchandises de la ligne Beaulieu-Turenne se solde par trois déraillements successifs. Parfois, c’est simplement parce que les rails traversent sans cesse la route et qu’ils sont recouverts de terre…
Il y a aussi des drames : Jean-Paul Toulzat repère cet entrefilet dans une édition de La Croix de la Corrèze, en janvier 1918 : « Des enfants se rendant à l’école découvrirent sur la voie du tramway, au Port-Haut (nous sommes à Beaulieu), le cadavre d’un homme, la tête et les jambes en partie broyées ». D’un autre côté, les conducteurs font rêver les filles : « C’était les cosmonautes de l’époque », s’amuse une habitante de Soursac, dans un reportage télévisé mis en ligne par l’INA.
Les autobus chassent ces petits trains de campagnesL’arrivée des autobus sonnera le glas de ces petits trains de campagne. Supprimer le tramway permet alors d’élargir la route… Il faudra ensuite enlever les voies, vendre les terrains. En 1936, le conseiller général du canton de Meyssac demande que cela soit fait « le plus tôt possible ».
La gare de Lanteuil fut détruite en 1964. À Beynat, la déchetterie occupe l’ancien site. Si la petite gare de Collonges a été sauvée, c’est parce qu’en 1937, comme le raconte Jean-Paul Toulzat, la Société des amis de Collonges offre 1.000 francs à la commune pour qu’elle puisse l’acquérir. La commune ajouta 4.000 francs et prit l’engagement de ne jamais revendre le terrain.L'ancienne gare en bois de Collonges-la-Rouge, sur la ligne Aubazine-Beaulieu.
Le Transcorrézien faillit s'arrêter peu après les deux petites lignes, fermées en 1932, « mais ce qui l’a sauvé, c’est la Deuxième Guerre mondiale et les pénuries d’essence », précise Andrée Toulzat. Durant cette période, il sert d’ailleurs au maquis, dans le secteur de Clergoux. Sa résistance prend fin le 31 décembre 1959. Le Populaire du centre du 2 janvier 1960 salue alors « ce tacot qu’on blaguait souvent mais qu’on aimait beaucoup ».
Le passé ferroviaire, un véritable produit touristiqueL'ancienne gare d'Espagnac.Le retour sous les projecteurs du viaduc des Rochers Noirs, depuis qu’il a été sélectionné dans la mission Bern, a remis en pleine lumière cette vie sur les rails. Débordant de la haute Corrèze, c’est toute la ligne du Transcorrézien, qui reliait Ussel à Tulle, qui revit grâce à la route qui porte son nom. Elle est jalonnée d’anciennes gares restaurées, de wagons rénovés, de panneaux explicatifs illustrés, mais aussi de cheminements et d’installations surprenantes.Idéal pour les balades.
Des randos pour revivre l'aventure du railC’est le cas de la randonnée “du Pont Aubert aux rochers noirs”, qui permet d’emprunter, à pied, le trajet de l’ancienne voie. « Dans le tunnel, à Soursac, il y a un parcours d’interprétation son et lumière, qui fonctionne toute l’année et qui est accessible gratuitement. Deux capteurs ont été installés et les gens entendent approcher le tacot. Ils sont surpris », s’amuse Jérémy Truant, chargé de communication à Haute Corrèze tourisme, qui cite aussi avec malice « le célèbre bar Le Tacot à Ussel, route de Neuvic, qui nous remet bien dans l’ambiance, ou le café de la gare à Neuvic. »
À l’heure où « l’archéologie ferroviaire » connaît un bel engouement, les passionnés trouvent de quoi se réjouir dans tout le département. À Ayen, par exemple, grâce aux panneaux du Pays d’art et d’histoire Vézère Ardoise. Ou encore à Beynat, où la boucle de 10 km de la rando “les chemins de l’ancien tramway” est aussi l’occasion de passer sous un tunnel.
Beynat : Le tunnel du Tacot est un lieu mystérieux à découvrir
Embarquement immédiat pour un voyage virtuelIl n’est plus possible de monter à bord des tramways de la Corrèze, mais on peut toujours s’embarquer dans un voyage virtuel. Il y a le site internet de Claude Boissy, un passionné originaire de Corrèze, qui y passe trois mois dans l’année et qui propose une rafale de cartes postales anciennes et leur pendant actuel.
Ce contrôleur des impôts à la retraite aurait rêvé d’être ingénieur des Ponts et chaussées et avoue être fasciné par le tracé de la ligne et les ouvrages d’art. Claude Boissy proposera d’ailleurs une exposition à Treignac, cet été, au moment de la brocante, sur le POC.
Autre lignée desservant la mémoire du tramway, celle de la famille Toulzat. Le père, Jean-Paul Toulzat, aujourd’hui disparu, a rédigé deux ouvrages sur les tramways corréziens, sans lesquels cet article n’aurait pu êtrre rédigé. Il est toujours possible de se les procurer à l’Espace culturel Leclerc de Tulle et d’Ussel ou au Super U de Laguenne.
Sa fille, Magalie, a créé un jeu de société autour de la ligne du Transcorrézien. Réimprimé cet automne, des exemplaires sont toujours disponibles au prix de 39 € (par mail magalie.toulzat@orange.fr ou 06.32.32.80.52).
Le Transcorrézien en vidéoIl est aussi possible de visionner un film en Super 8 tourné lors d'un voyage d'adieu au tacot en mai 1959 (c'est ici, sur le site Mémoire filmique de Nouvelle-Aquitaine), ou ce reportage épatant répertorié par l'INA, qui date de 1981, où l'on peut écouter les derniers témoins. Un régal.
Pomme Labrousse