Sur les traces du chemin de fer à ficelle à Montluçon (Allier)
Dans le quartier du Diénat, la pente se repère de loin. D’une longueur de 800 mètres, forte d’un dénivelé de 135 mètres, elle est devenue un terrain de jeu pour les trailers du coin. Ce raidillon est une des dernières traces visibles de la voie ferrée des Houillères, qui reliait Commentry à Montluçon, pour charrier le charbon entre la cité minière et la cité industrielle.
« Avec le canal de Berry, le chemin de fer à ficelle est un des deux éléments qui ont permis l’essor industriel de Montluçon », souligne Alain Gourbet, qui conserve la mémoire de l’histoire industrielle de la ville et regrette que ce sujet soit méconnu des Montluçonnais.
Pourquoi un chemin de fer à ficelle a-t-il été mis sur rail ?Au début du XIXe siècle, il était envisagé que le point de départ du canal de Berry soit situé à Commentry, pour alimenter en charbon les forges du Berry. Mais la différence d’altitude entre le Cher (200 mètres), qui assurait l’alimentation du canal, et Commentry (374 mètres) a rendu impossible le projet.
Montluçon a ainsi été choisi pour être le premier port du canal de Berry, ce qui, notons-le au passage, a permis plus tard à ce bourg médiéval choisi par défaut de se muer en une cité industrielle de premier rang.
Pour combler l’absence de canal entre Montluçon et Commentry, des tombereaux attelés à des chevaux ont initialement acheminé le charbon. Ce travail nécessitait environ soixante à soixante-dix canassons chaque jour, note Alain Gourbet.
Dès 1839, la famille Rambourg, propriétaire de la mine de houille de Commentry, a envisagé une liaison ferroviaire, et a confié ce projet à Stéphane Mony, qui avait participé en 1837 à la construction de la première ligne de chemin de fer de l’Hexagone entre Paris et Saint-Germain-en-Laye.
Le plan incliné de Marignon.
Quel était le parcours ?La ligne a été mise en service en 1846, après trente mois de travaux. Dix-sept kilomètres de voie prenaient pour point de départ le port du canal de Berry, sur la rive gauche du Cher.
Les wagons franchissaient ensuite le Cher en aval de l’actuel pont Saint-Jacques (près d’Athanor) – le pont noir qui n’existe plus –, filaient tout droit sur l’actuel boulevard Allende, et empruntaient ce qui est nommée aujourd’hui l’allée du Chemin de fer à ficelle, passant ainsi au pied du château de la Louvière et du cimetière de l’Est.
L’usine des Hauts Fourneaux, le chemin de fer et au fond le pont de la route de Paris.
Le chemin de fer à ficelle arrivait ainsi sur le viaduc du Diénat, aujourd’hui disparu, avant de monter à Marignon et filer à travers la campagne vers Commentry, en passant par les Ferrières, le viaduc de Montassiégé – également disparu – et le bois des Forges.
Au fil du temps, des ramifications du chemin de fer ont permis de raccorder d’autres mines dans les alentours de Commentry, notamment Montvicq.
En 1860, la production de la mine de Commentry était de 350.000 tonnes. « On peut estimer que 260.000 tonnes étaient acheminées vers Montluçon par le chemin de fer à ficelle », affirme Alain Gourbet.
Pourquoi parlait-on de chemin de fer à ficelle ?Les convois étaient tractés sur les parties plates – au début par des chevaux puis des locomotives – et franchissaient le dénivelé sur deux plans inclinés, sorte d’ancêtre des funiculaires modernes. L’un était le plan incliné de Châteauvieux – une partie de l’actuel boulevard Allende –, l’autre le plan incliné de Marignon – qui se trouve donc dans le quartier du Diénat.
Un wagon sur le plan incliné de Châteauvieux, aujourd’hui le boulevard Allende.
Sur ces plans inclinés, un câble situé au milieu de la voie se déplaçait sur des poulies fixées entre les rails, ce qui a donné naissance au nom de chemin de fer à ficelle, raconte Alain Gourbet. Le treuil retenait les wagons pleins dans la voie de descente et permettait à d’autres wagons de remonter.
Que reste-t-il comme vestiges ?La ligne partant des mines de Commentry vers le canal de Berry a cessé en 1911 et une faible activité a perduré jusqu’en 1940. Cette voie ferroviaire a été concurrencée ensuite par la construction de la ligne de chemin de fer entre Montluçon et Moulins. La dernière locomotive a été remisée dans un hangar qui abrite aujourd’hui un centre social de l’allée du Chemin de fer à ficelle.
Les traces de cette histoire industrielle sont rares. « Dans la ville de Commentry, on ne voit plus rien », remarque Alain Gourbet. Tout juste peut-on repérer sur le parcours les endroits où les rails étaient posés, comme devant le château de Montassiégé, construit pour la famille Rambourg.
En haut du plan incliné de Marignon, on peut supposer l’emplacement de la tour de pilotage du chemin de fer. « On voit aussi un ancien marigot qui a permis d’abreuver les chevaux et a servi ensuite aux locomotives à vapeur », explique Alain Gourbet.
La voie empruntait plusieurs ponts, dont l’un a subsisté, au-dessus du ruisseau du Voirat. Entre les Ferrières et Montassiégé, un bâtiment est un des rares vestiges de la ligne. Il est à signaler enfin que l’on voit des fondations du pont noir quand le Cher manque d’eau.
Guillaume Bellavoine