La chronique de Jean-Louis Etienne : « L’indispensable nécessité de la nature »
Le besoin de nature est pour tous une aspiration vitale. Chacun de nous en a besoin pour son équilibre, mental et physiologique, l’humanité tout entière en dépend pour sa vie. Car la Nature n’est pas le décor de l’existence, c’est la plus grande mutuelle du monde où toutes les espèces de tous les règnes vivent en interdépendance, assurant ainsi le maintien à l’équilibre de l’écosystème Terre.
Médecin, explorateur, Jean-Louis Etienne a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986.
Se promenant dans les bois, on a tous entendu le cri rauque et strident du geai des chênes, la “sentinelle de la forêt “. Tout le monde est alerté de notre présence. Cet oiseau friand de glands fait ses réserves à l’automne. Il peut en transporter trois ou quatre dans son jabot qu’il va dissimuler sous des racines, des souches d’arbre ou un tapis de feuilles. Il cache aussi des faînes de hêtre. Les réserves alimentaires qu’il abandonnera germeront pour donner naissance à un nouvel arbre, ce qui fait du geai le premier reboiseur de chênes et de hêtres, un exemple sous nos yeux de mutualisation entre les espèces.Jean-Louis Etienne.Certes la nature n’est pas un paradis, aucune empathie, chaque espèce est programmée au service d’elle-même et s’y emploie avec les outils et les instincts dont elle dispose à la naissance : les griffes, les dents, le bec, le dard, les épines, le venin, les plumes, les poils, la vision nocturne, l’adaptation aux grands froids et à la sécheresse des déserts, l’art de la chasse et de la cueillette, le sens de l’orientation, voyager avec ses pattes, ses ailes ou ses nageoires, défendre son territoire de ses propres forces...
Chaque individu doit être vite autonome avec ses attributs dont il ne changera jamais tout au long de sa vie. Ce foisonnement naturel est le résultat de millions d’années d’une lente évolution jusqu’à ce qu’émerge l’Homme.
Après quelques millénaires d’harmonie, de nomadisme, de chasse et de cueillette, rattrapé par sa démographie et sa boulimie du monde, l’humain s’est peu à peu coupé de son lien nourricier avec la nature. Regroupée pour survivre autour de pôles urbains, l’humanité est passée en quelques siècles d’une autonomie agraire à une dépendance grégaire.
À l’instar de tous les animaux, l’Homme n’échappe pas à sa programmation au service de sa propre espèce : se nourrir, se reproduire, étendre son territoire. Doué d’une intelligence appliquée remarquable, il va progressivement construire toutes sortes d’outils, de robots, d’armes chimiques, d’engins surpuissants pour assouvir ses besoins croissants. De toute évidence l’humain s’est mis en rupture avec l’écosystème Terre originel. En quelques siècles nous avons pris le contrôle des espaces et des espèces et avec quel dessein ?
Infatigable défenseur de la planète, Jean-Louis Etienne a mené de nombreuses expéditions à vocation pédagogique pour faire connaître les régions polaires et comprendre le rôle qu’elles jouent sur la vie et le climat de la terre.
On voit bien aujourd’hui qu’à cette cadence, les exigences du développement de chacun s’avèrent à long terme incompatibles avec la survie de tous. Aucune espèce, végétale ou animale, n’est capable de s’adapter à ces bouleversements rapides. Dans cette nature que l’homme transforme à grande vitesse, seuls les organismes les plus élémentaires comme les virus peuvent échapper à notre contrôle grâce à une capacité à muter rapidement. En maltraitant la nature à grande échelle, le danger pourrait bien venir de l’émergence de l’infiniment petit.Le signal d’alarme est tiré, mais l’animal en nous poursuit son inéluctable programme d’expansion.
Alors comment conjuguer conscience et animalité ? Comment en bonne intelligence réintégrer le fonctionnement de l’écosystème Terre ? L’avenir de l’humanité tient dans notre sagesse à réintégrer la biocénose, cette association harmonieuse où toutes les espèces ont la vie en commun. Inverser la tendance du « tout au service de l’homme » par « l’homme en équilibre au milieu d’un tout ». Nous sommes actionnaires de cette “Mutualité Naturelle” et notre avenir est intimement lié au respect de la diversité du vivant.
Jean-Louis Etienne