À 73 ans, Jean-Pierre Franc tient encore son bar Le Madrigal à Thiers (Puy-de-Dôme)
C’est un tenancier au nom de Franc « qui n’existe plus depuis 20 ans, depuis le passage à l’euro, en fait ». Il s’en amuse lui-même. Jean-Pierre de son prénom, est un commerçant emblématique de la cité coutelière, encore plus du quartier du Pirou. Et le parallèle est encore plus surprenant, quand on pousse le bouchon de la bouteille un peu plus loin. Voilà deux décennies aussi que le patron du bar Le Madrigal aurait pu partir en retraite. « Oui, mon cher monsieur, à 53 ans, parce que j’avais tout ce qu’il fallait. » Calculez… il a aujourd’hui 73 ans.
Le fonds de commerce est en venteUn pacemaker et trois stents plus tard, l’abnégation et la volonté n’en sont que plus belles. Et puisque nous sommes dans les chiffres, autant y rester encore un peu. « Voilà 40 ans que je suis installé ici, en tant que propriétaire. Si on remonte dans l’histoire, ça s’appelait Au bon coin, tenu par Jacques Lagrange. »
D’histoire, il en est question tous les jours, depuis son tabouret. En face de lui, le sublime château du Pirou, dont Jean-Pierre raconterait bien l’histoire, accoudé à son zinc. Une vue imprenable sur l’architecture moyenâgeuse de Thiers, par la fenêtre qui vient éclairer l’intérieur de son affaire. « Étant un peu curieux d’origine, j’aime bien me renseigner », glisse malicieusement celui qui a de l’esprit et de l’humour, malgré ce qu’il veut faire croire.Pression, rosé, quelques cafés. Le service aux habitués ne change pas bien, mais le sourire est toujours là, à 73 ans. « J’ai commencé rue de l’Industrie, à Thiers, j’ai tenu un bar pur, pendant six ans, raconte Jean-Pierre. J’ai tenu également, à Thuret, un bar-tabac-restaurant, pendant 7 ans, qui est toujours en activité d’ailleurs. » À l’origine, c’est d’ailleurs sa femme qui a repris à Thiers. Et puis, ils voulaient travailler ensemble. Alors le chef magasinier de l’époque s’est laissé séduire.
Mais quand vient la question fatidique de « l’arrêt », Jean-Pierre est plutôt réaliste. « Je ne vais pas le garder ad vitam æternam, bien sûr. » Le fonds de commerce est d’ailleurs en vente. « Mais peut-être qu’inconsciemment, effectivement, je repousse l’échéance. Ce qui va me manquer le plus, c’est le contact humain. Oui, ça va me manquer énormément. » Et nul doute que lui-même manquera au quartier. Parce que 40 ans entre quatre murs, ça marque l’endroit. C’est un peu le dernier des Mohicans. Le dernier d’une époque faste, vivante, dont il parle avec légèreté et un brin de fatalisme, aussi.
« On avait des moteurs… Les Bresles, Ferrebœuf, Gobillard. Ce qui nous manque le plus dans le quartier aujourd’hui, ce sont des métiers de bouche. Le jeune courageux qui voudrait monter une boulangerie… »
Jean-Pierre en profite aussi pour se remémorer la création de la Saint-Éloy-des-Gogues, au milieu des années quatre-vingt-dix, dont il a été l’instigateur avec ses compères Jean-Paul Provenchère et Roger Defaye. « J’ai vu ce quartier en pleine activité. Même des gens de Clermont ou Vichy venaient s’habiller ici. De voir l’endroit comme il est, forcément, ça fait mal au cœur. » Mais Jean-Pierre Franc ne voit pas tout noir, fort heureusement, et la fréquentation touristique estivale le rassure un peu. « Et aussi le musée de la Coutellerie, c’est une chance. On entend beaucoup de choses sur Thiers. Moi je m’estime Thiernois, et ça ne fait jamais plaisir, alors que par exemple, il n’y a pas plus d’insécurité qu’ailleurs. » S’il s’estime Thiernois, c’est parce qu’il n’est pas né ici (mais à Saint-Étienne), et est arrivé à Thiers à l’âge de 5 ans.
Le bar, c’est un peu un confessionnalFini l’intermède nostalgique, le patron se recentre sur lui-même, et sur Le Madrigal. Un lieu, digne d’un « confessionnal », plaisante-t-il, avec, tout de même, un gros fond de vérité. « Les clients, comme moi, ont leurs soucis. Ils racontent beaucoup de choses, mais moi, j’ai adopté la règle des trois singes, et je pense que c’est ce qu’il faut faire. » Les clients présents ce jour-là disent même de lui qu’il est aussi psychologue ou médecin.
« Le bar, c’est un peu spécial, il faut le dire. Le Ba-ba c’est l’accueil, c’est important. Quand on est derrière le comptoir et qu’on fait la gueule… »
Derrière le bar, il y est de 7 h 30 à 20 heures. « Parfois un peu plus, mais c’est pour les habitués. À mon âge, je ne fais plus bar de nuit, relate le barman. Je sais qu’à une époque on avait le droit d’ouvrir jusqu’à une heure du matin. » Des habitués donc, qui pour certains sont là depuis le début de l’aventure. Et ça remonte à 40 ans. Comme ce monsieur assis à une table, le journal sous les yeux, employé de l’ancien tribunal de commerce, tout proche. « Rendez-vous dans 10 ans alors ? » « Certainement pas ! » Peut-être, mais on ne prendrait pas les paris…
Alexandre Chazeau
Et après ? Comme tout un chacun, quand arrive le temps de la retraite, se pose la question de ce que l’on va faire. Même si Jean-Pierre Franc vient d’en passer 20 à travailler, à temps plein, au sein de son bar. « J’ai ma maison à Pont-de-Dore, je saurai m’occuper. » Le jardin peut-être ? « Non, car comme on disait à l’époque, j’ai un grand jardin, il est sous le rempart (rires) », avance Jean-Pierre, faisant référence au marché d’antan. « Sinon, les champignons, puis j’ai quelques amis qui me restent donc j’irai les voir, jouer aux cartes… Et puis il y a les voyages. J’ai déjà fait le Sénégal, l’Égypte, le Maroc, la Tunisie. L’Égypte c’est très bien et le Maroc, très accueillant », glisse-t-il.